Ils marchèrent pendant des jours. Des semaines. Des mois et des années.
- N'exagère pas, dit Oliver. Ca ne fait que quinze minutes.
Sitôt que s tête émergea, elle put entendre ce qu'il disait.
- Qu'est-ce que tu fabriques ? braillait-il, tout rouge et tout irrité. Pourquoi t'es pas sortie de l'eau ? T'essayais de te suicider, ma parole ?
- Quoi ? S'exclama-t-elle, en crachant de l'eau tandis qu'elle écartait les cheveux de ses yeux. Moi ? Me suicider ? Qu'est-ce que tu racontes ? J'étais juste entrain de me noyer sans ton aide, merci...
- Te noyer ? répéta-t-il éberlué. Alice, l'eau ne nous arrive qu'aux genoux !
Ah...
Le temps est la seule chose de cette contrée qui soit réglementée expliqua Oliver. Le pays de l'Ailleurs est très très pointilleux au sujet du temps.
Elle savait qu'être différente serait toujours difficile ; qu'il n'existait aucune magie susceptible d'effacer l'étroitesse d'esprit ou les injustices de l'existence.
Alice ne s’intéressait pas vraiment à l’histoire des moissons. Elle trouvait cela terriblement ennuyeux et, si elle était tout à fait honnête, elle irait même jusqu’à vous avouer ne pas apprécier les moissons par peur qu’elles deviennent un jour son destin. Tout au long de sa jeune existence, Alice avait craint de finir comme une bonne à rien, hormis à labourer les champs. Le labour était certes honorable, mais il s’agissait d’un travail particulièrement peu prestigieux, et Alice préférait se trouver de l’autre côté de la barrière : s’emparer de la magie brute pour la transformer en une chose utile.
Alice vivait à une époque où les cartes, les noms des rues et les numéros de maisons n’existaient pas encore. À une époque où quitter sa maison signifiait dire au revoir en espérant retrouver son chemin pour rentrer.
L’espoir, voyez-vous, c’était tout ce qu’elle avait, et elle s’y raccrocherait, contre ronds et carrés !
Elle avait besoin de se sentir chez elle quelque part. Mais une fille comme elle – qui ne ressemblait en rien à sa mère, une sœur qui ne ressemblait en rien à ses frères – n’avait pas beaucoup d’autres choix. Elle se sentait plus à l’aise dans la nature, où les choses n’étaient pas forcées de se ressembler pour vivre ensemble et en paix.
De toute manière, elle n’avait pas besoin d’être aimée par qui que ce soit.
Il se trouve qu’elle s’aimait déjà tellement elle-même et se trouvait tellement intéressante (et intelligente, inventive, gentille, drôle, sympathique et authentique) qu’elle ne parvenait vraiment pas à comprendre pourquoi ce n’était pas plus facile pour elle de s’intégrer.
Père était plus qu’un père aux yeux d’Alice ; il était son ami et son confident. Il avait rendu supportables toutes les duretés de la vie ; il avait veillé à prodiguer à sa fille suffisamment d’amour pour qu’elle garde toujours confiance en elle. En vérité, il occupait une si grande place dans son cœur qu’elle était rarement consciente de n’avoir pas vraiment d’autres amis.
Chacun possédait un don. Un grand talent magique. Et ils montraient ce talent – ça s’appelait la Présentation – en échange d’une mission suprême à accomplir. Comme le voulait la tradition.
Elle avait envie de voir Mère grandir – ou peut-être rapetisser – pour devenir celle dont ses frères et elle avaient réellement besoin. Mais Mère ne pouvait pas devenir ce qu’elle n’était pas.