Le festin des fauves

…Aucune élite n’est exempte de crime. Toutes sont avides de possessions et de pouvoir, il n’y a pas d’autre moteur…Que voulez-vous que nous fassions ? Que nous jugions tous ceux qui franchissent la limite ? C’est ça ? Nous n’aurions plus d’Etat, ce serait le retour de Robespierre et le règne de la terreur…Une république apaisée doit maintenir l’ordre et non pas créer le désordre par désir de pureté ! Ce que les gens veulent, c’est que leurs enfants puissent aller à l’école et leurs anciens faire leurs courses sans avoir à paniquer à tous les coins de rue ! La corruption de quelques-uns n’a pas d’importance, si la société est en paix. »

Dans ce cas, leur cargaison doit encore se trouver dans le Maravilha Couteira, car rien n’a pu être emporté pendant l’évacuation sur les maigres canots de sauvetage du grumier. Cet hypothétique trésor englouti a enflammé l’imagination d’Erwan. Le désœuvrement et la fréquentation assidue des bars de l’île l’ont amené à nouer des amitiés interlopes et à participer à quelques cambriolages dans des villas désertes de Saint-Trojan, sur la côte sud de l’île. Il sait donc où revendre ce qu’il pourrait trouver dans l’épave. Une fois l’idée germée, la semer dans l’esprit d’amis plongeurs s’est avéré un jeu d’enfants.

On ne devient une victime que si on le décide. Pour Lucy, il y a des agresseurs, des bourreaux, des violeurs, des coupables, mais pas de victimes.

Louis Le Morvant,

Judex sait,
Judex sait que, non content de ruiner et de déshonorer les gens, il faut encore que vous les assassiniez. Judex vous donne l’ordre, Le Morvant, pour expier vos crimes, de verser la moitié de votre fortune à l’Assistance publique. Vous avez jusqu’à demain dix-huit heures pour vous exécuter
Judex sait que vous corrompez pour obtenir des concessions et des marchés publics en France, au Mali et au Niger.
Judex sait que vous avez participé au financement de groupes terroristes pour déstabiliser les gouvernements qui n’acceptaient pas vos conditions au Tchad, au Soudan et au Rwanda.

Judex sait que vous niez et dissimulez l’esclavage d’enfants sur vos chantiers en Birmanie, au Yémen et à Madagascar.
Judex sait que vous avez fait exécuter cinq hommes au Gabon pour étouffer une affaire qui vous aurait compromis.
Judex sait, car il a les preuves de tous ces crimes. Quand l’heure sera venue, Judex les rendra publiques.
Judex sait que la justice ne peut pas vous atteindre, mais Judex, lui, vous a condamné.
Le Morvant,
Abandonnez votre immorale fortune ou demain, à dix-huit heures, Judex vous tuera.

Vous qui connaissez le visage de l’injustice,

Un œil, deux doigts et une oreille, pour ce qu’il peut reconnaître, le reste des déchets organiques échappe à toute tentative d’identification… Son butin et les bocaux qui sont restés à bord contiennent la dépouille en charpie d’un être humain.

Erwan contourne les récifs, il s’accroche à la perspective des milliers d’euros qu’il transporte en bandoulière pour ne pas céder à l’épuisement.

Son poursuivant en profite pour lui agripper la jambe. Erwan rue pour se libérer et se redresse pour faire face. L’inconnu se tient à un mètre de lui et peine à se redresser dans le courant d’eau qui l’entraîne vers la fenêtre, signe que les vagues se retirent. Il empêche Erwan de se jeter dehors en lui barrant l’issue alors qu’à l’autre bout du réfectoire ses complices émergent, fusil harpon armé. Erwan se croit piégé, mais avant que ses agresseurs ne puissent ajuster leur tir, le cargo se mêle au combat.

À quelques mètres, dans les ténèbres, des assassins déterminés, silencieux et invisibles peuvent fondre sur lui à tout moment pour lui faire subir le même sort qu’à ce pauvre Loïck. Il tarde trop à trouver la porte d’une cabine, il sait qu’il ne peut pas rester plus longtemps à découvert en plein sur leur chemin. Sa peur se mue en crise de claustrophobie, il ne voit rien et la sensation d’enfermement le paralyse peu à peu.

Le capitaine Bertrand entre dans l’open space et le fusille du regard. Les casques audio sont interdits dans le service. Cet usage est une autre dérogation que l’administration accorde à Jérémy, mais Bertrand continue de gaspiller son énergie à remettre en cause cet avantage acquis. La police manquait, et manque toujours, de profils comme celui de Jérémy Bissanier : hacker, petit génie de l’informatique, né avec une carte mère dans le cerveau et un lien quasi télépathique avec Internet

ndifférents à son malheur, les bureaux de l’OCLCTIC1 cliquettent et bruissent d’activité. La structure opérationnelle de cette brigade cybercriminelle se trouve à l’étroit dans ses locaux. Contrairement à leurs collègues des autres brigades, les enquêteurs de l’OCLCTIC ne quittent presque jamais leurs ordinateurs, l’exiguïté des lieux leur cause donc de plus grands désagréments qu’à leurs confrères. La promiscuité rend parfois l’ambiance explosive, surtout avec des personnalités comme celle de Jérémy, qui ne brille pas par ses qualités d’empathie relationnelle. Il sent la mauvaise humeur monter en lui, ignore ostensiblement une autre demande de son collègue perdu dans l’identification d’une adresse IP fantôme et chausse son casque audio. Il lance Keep You Close de dEUS, qu’il vient de récupérer sur un site de partage, et s’isole dans sa bulle.