AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur L'eau mate (9)

9.


Plus j'écoutais, plus j'en étais sûr, quelqu'un passait assez
proche. Le pas avait beau se faire silencieux, je le sentais
rire. J'allais être découvert. Si je cherchais à fuir, les
froissements de branches étaient à craindre. Je respirai à
très petits coups, comme les acacias par feuilles saccadées.
Je ne reprenais souffle que lentement, sans bruit, autant
que possible, à la façon des menthes. Je me voyais
perdu. Mais à cet instant, dans la torpeur de la forêt,
un arbrisseau, tout seul, se mit à bruire, à s'agiter, sur la
gauche. Puis, au-dessus de moi, un peu contre moi, tout
un érable frémit. Les crépitements et les déchirures des
branches gagnèrent par vagues le dévalement.

p.23
Commenter  J’apprécie          120
25.


Cet après-midi là, nous avons constaté un calme brusque.
Les insectes ne vibraient plus. Il languissait une fadeur
de temps venu des montagnes. Nos sèves avaient pris
une lenteur d'automne. Vers la mer, de longues couches
de nuages se superposaient, plus ou moins opaques.
Depuis assez longtemps, nous ne parlions plus tout
seuls. Écoutions-nous, même ? Oui, sans doute, puisque
la rumeur grégorienne des racines, toute en longueur,
montait, et inondait l'herbe. Puis, au-dessus, un blaisement
continu la haussait, sulfurisée. Au-dessus encore, mais
plus élastique, en soprano, une vigne de chant, souple
comme les lignes des dunes, toujours relancée et régressée,
éternisait des racines aériennes. Depuis longtemps, nous
ne parlions plus qu'au point mort.

p.55
Commenter  J’apprécie          20
21.


Les nuits allongeaient, mais très lentement, avec des
crépuscules sans couleur. Les couleurs ralentissaient. Les
ciels s'éternisaient. Les fougères se cassaient silencieuse-
ment les unes après les autres. Le bien-être des après-midi
gagnait. Je m'habituais, indifférent à des appels d'alerte
de plus en plus espacés, de plus en plus, me semblait-il,
lointains. La lagune réchauffait, molle, ma torpeur. Je pris
la lassitude des herbes, des nénuphars, faisant la planche
au milieu de leur fatalisme. Je m'étalais sans fin avec eux,
m'éloignais, dérivais d'immobilité. Les nuages aussi, qui
ne s'en rendaient guère compte. Survie à plat.

p.47
Commenter  J’apprécie          10
10.


Or je sentais nettement se répandre sur moi, non pas
des feuilles tombées de fin août, mais de lichens livides,
tout le long de mon flanc, des moisissures vaguement
lumineuses, des grumeaux comme des mûres rouges, ou
vertes. Je me reflétais sur les troncs des bouleaux ou, entre
eux, dans un vert assombri. Je me laissais inonder de cet
envers velouté des feuilles de chêne. Il me semblait brûler
doucement, frire, comme des feuilles sèches. J'appartenais
enfin à l'incendie des hautes cimes, au soleil tombant, à
la friabilité de l'herbe jaune par places entières.

p.25
Commenter  J’apprécie          10
7.


À la longue, je me méfiais à mon tour de ces fougères qui
me traçaient un parcours de terre séchée, mais sortaient
d'une vase profonde. Je finis par croire que les chèvre-
feuilles se défiaient aussi de moi. Ils n'embaumaient plus
à mon approche. Puis je compris que les tiges, les racines,
et le moindre brin d’herbe crissaient de la même peur que
moi, une peur légère, assurément, mais très ancienne, et
qui ne s’apaiserait qu’au terme de longues vagues d’an-
nées. Il ne s’agissait en somme que d’une crainte presque
joyeuse. Nous nous retirerions dans la pénombre, aussi loin
que possible du beau temps, atroce, pour une attente qui
n’en finirait pas.

p.19
Commenter  J’apprécie          10
20.


Elles aussi, les plantes vivent dans l'attente. Je me recon-
naissais à leurs infra-murmures de complicité, sur le sol,
aux rétractation de leurs frissons épidermiques. Elle s'at-
tardent en averses de joie, lorsque le soleil les parcourt
de longues traces de matin. Il ne faut pas se fier alors à
leur impassibilité, non de froid, mais de tension craintive.
Le ciel gris lui aussi, uni et immobile, attend, en instance
de déchirure. Mais le sable surtout, en vagues caressantes
et friables, l'eau abandonnée des vieux fossés, façonné
par les mauvaises herbes, gardent au secret l'irritabilité
d'une joue.

p.45
Commenter  J’apprécie          00
28.


Notre glaise lourde s'était soulevée en forte branche,
qui élevait maintenant les forces de l'eau. Dans cette
masse, des racines, des courants confluaient. Il se fit un
vert profond qui se confondait avec une nuit nouvelle et
terrible. Notre feuillage se recourbait sur le désert. Les
appels de mort n'étaient plus que litanies, des invocations
pour ainsi dire, et de plus en plus lointaines.

p.61
Commenter  J’apprécie          00
11.


La nourriture m'attendait dans les entrelacs d'une vieille
souche, de l'autre côté d'une coupe de pins, et je devais
ramper jusque là, m'arrêtant régulièrement, dans le
labour ensemencé depuis peu. Ma peau se faisait sable,
se dénouait avec les racines sèches, s'étalait, fiévreuse,
se réjouissait de la fluidité de la terre. Elle se savourait,
comme les traînées de mousse, avec leur même odeur,
presque la même. Avec les méandres du lierre, elle fris-
sonnait, chuchotait. Avec l'alios, elle s'irritait de joie,
friable. Par instants, je ne pouvais l'empêcher de filer
en avant, à la façon des lézards. Elle s'arrêtait devant un
de ces lis jaunes de lande délicat, qu'elle allait écraser,
laper, glapir.

p.27
Commenter  J’apprécie          00
1.


À chaque pas, je m'enfonçais dans un trou d'eau, plutôt
tiède, entre les poussées de joncs et de molinie. Là
personne ne viendrait me poursuivre. Une fois encore, très
prolongée ce coup-ci, la psalmodie m'avertissait : " plus
loin, enfuis-toi…". Elle venait du fond de la lande, de la
lisière bleue des pins, de la frange lumineuse qui la coupe
des nuages. La journée s'éternisait, grise et bête. J'avais
suivi les ombres douteuses des buissons, harcelé par les
taons, courbé dans la puanteur fade du marécage, mon
marais, sans que jamais un remous ne sanglotât, ne me
trahît. Il ne me restait plus qu'à m'étendre, ou plutôt me
recroqueviller dans une sorte de fossé hirsute, où le soir
finirait bien par m'effacer.

p.7
Commenter  J’apprécie          00




    Lecteurs (7) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Testez vos connaissances en poésie ! (niveau difficile)

    Dans quelle ville Verlaine tira-t-il sur Rimbaud, le blessant légèrement au poignet ?

    Paris
    Marseille
    Bruxelles
    Londres

    10 questions
    1228 lecteurs ont répondu
    Thèmes : poésie , poèmes , poètesCréer un quiz sur ce livre

    {* *}