– Ces fleurs se nourrissent du corps de ceux que nous avons aimés, dit le Nerguii. Abandonne-la à cette terre, et tu devineras le parfum de sa peau dans la senteur de la steppe. Tu reconnaîtras son rire au matin dans l’appel d’un oiseau. La fraîcheur de ses baisers dans une eau de source. Ses angoisses que tu apaisais dans l’étreinte d’un orage qui se resserre. Il en va de la mort nomade comme des amours : c’est elle qui te choisit.
Yeruldelgger soupira avec la force d'un yack. Vingt-quatre heures. Il avait suffit de vingt-quatre heures et de trois rencontres pour jeter au vent tout le calme et la sérénité de ses quatre premiers mois de retraite spirituelle. Et voilà qu'il sentait à nouveau monter de sa nuque jusqu'à l'arrière de son crâne le sirop chaud de la colère.
Regarde ce désert, Yeruldelgger. C'est notre pays. Grandiose. Sévère. Violent. On nous croit nomades débonnaires dans nos espaces immenses, mais nous ne faisons que lutter contre lui jour et nuit.
Ce qui nous rend fort, c'est ce pays cruel qui nous apprend à le combattre et à le respecter depuis notre plus tendre enfance. Qui nous force à nous chauffer avec des bouses contre le froid. A galoper sans cesse après nos bêtes que ses espaces infinis attirent et perdent.........
Et le ciel usé d'étoiles, rien qu'un trou béant à l'envers et sans fond dans lequel il ne parvenait pas à tomber pour s'y perdre enfin.
Parce que la première fois c'est toujours magnifique. On se met a nu au propre comme au figuré devant une personne encore inconnue. On découvre son corps, le goût de sa bouche, le sel de sa peau. On la surprend à gémir, on cherche ses cris, on bascule dans ses abandons. Mais la première fois c'est quelquefois si intense qu'on oublie d'oser, qu'on prend plaisir trop vite, alors il y a la deuxième fois. Celle où on sait à quoi s'attendre à nouveau, celle où on se retrouve pour se reprendre. Celle où on on enfin ce qu'on a retenu la première fois [...]
- Je peux quand même savoir où tu vas ?
- Dans la vallée au-delà de la crête d’où on a tiré. Ganbold, le gamin, veut me montrer un charnier.
Les traditions des uns sont toujours le carcan de l'oppression des autres (...)
Le but de la mort nomade, c'est d'oublier le mort et jusqu'à l'endroit même où on l'a laissé. Pour ne vivre qu'avec son esprit, toujours, partout, où qu'on soit.
On est traître que parmi les siens.
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- Je peux quand même savoir où tu vas ?
- Dans la vallée au-delà de la crête d’où on a tiré. Ganbold, le gamin, veut me montrer un charnier.
- Un charnier ?
- Oui, un grand trou avec des morts dedans, se moqua gentiment Yeruldelgger.
- Des morts humains ?
- Il a juste dit « monstrueux ». Ca a piqué ma curiosité.
- Sa mère et sa grand-mère n’ont pas été plus précises ?
Yerudldelgger apprécia les réflexes policiers de la jeune femme.
- Ils ne sont pas de la même famille, répondit-il. Odval, la jeune femme, prétend qu’un homme est mort pas loin de sa yourte.
- Un homme mort, quel homme ?
- Un Français, semble-t-il.
- Un étranger ?
- Oui. C’est généralement le cas des Français dans notre pays…
- Ne te fous pas de moi ! Est-ce que la vieille en sait plus sur ce Français ?
- Tsetseg ne sait rien de l’étranger. Elle est venue me voir pour l’aider à retrouver sa fille disparue.
- Et à quoi tu joues, alors ? A la caravane de Sherlock Holmes ? Au bureau itinérant des affaires nomades ? Au flic routard ?