Ils ont fui la guerre, la terreur et la misère. Ils ont marché des milliers de kilomètres, proies faciles pour les passeurs, les esclavagistes, les assassins. A leurs côtés, ils ont vu mourir leurs semblables, leurs frères, leurs enfants, leurs amis, sans savoir pourquoi eux survivaient, ni jusque quand, ni quels nouveaux effrois, nouvelles souffrances les attendaient plus loin, plus tard.
Ils sont arrivés à Villeneuve-Le-Roi, déjà morts mais prêts à revivre parce que l'être humain est ainsi fait qu'il sait trouver une brindille d'espoir sur un champ de ruines. Seuls, sans famille, dans un pays dont ils ne connaissent ni la langue, ni les codes, ni la culture, un pays qui les rejette, qui les maltraite, mais un pays en paix. Exilés et seuls.
En 1992, Virgil, le Moldave, Assan, le Somalien et Chanchal, le Bangladais veulent simplement survivre et donner une chance à leur famille. Ils supportent les humiliations, les coups, les brimades et l'asservissement institutionnalisé, sans se plaindre, conscients d'avoir échappé au pire.
Repoussés, rejetés aux périphéries de nos consciences, ils vivent un exil dans l'exil et leur amitié, leur solidarité sont les seuls appuis qui leur permettent de tenir. Ils offrent tout ce qu'on leur refuse : compassion, aide, générosité.
Pascal Manoukian trouve la juste distance pour nous raconter ces vies à reconstruire, ces destins bousillés par le hasard d'une ville, d'un pays ou d'une religion de naissance. Certaines scènes vont au-delà du supportable mais jamais on ne soupçonne l'auteur d'en "rajouter". Bien au contraire. Il nous tend le miroir de notre époque telle qu'elle est et nous montre le reflet de notre honte, sans didactisme, simplement en racontant l'histoire de Virgil, d'Assan et de Chanchal, une histoire qui se répète encore et encore. Une histoire si peu fictionnelle qu'il suffit d'ouvrir les yeux pour la voir se dérouler chaque jour.
"Est-ce ainsi que les hommes vivent ?" demandait
Aragon. "
Les échoués" lui donne une réponse effroyable.
Une lecture coup de poing dans le ventre. Une lecture nécessaire.