Citations sur Piste noire (70)
Il y avait un poète allemand qui disait que le passé est un mort sans cadavre.
Ce n'est pas vrai.
Le passé est un mort dont le cadavre n'arrête pas de venir te voir. De nuit comme de jour. Et en plus, ça te fait plaisir. Parce que le jour où le passé ne vient plus te rendre visite chez toi, ça veut dire que tu en fais partie. Tu es devenu le passé.
Peut-être que je devrais baiser un peu plus.
« Et puis il y a une chose qui me fend le cœur. » Sebastiano se versa un demi-verre de vin qu’il vida d’une gorgée. « Les vieux. Tu vas au marché. À Trastevere, Campo dei Fiori, piazza Crati, où tu veux. Et tu attends l’heure de la fermeture. Ils arrivent avant les éboueurs. Les vieux. Certains même avec veste et cravate, tu sais ? Ils se mettent là avec leur sac en plastique et ils ramassent les fruits et les légumes qui sont encore bons. Mais c’est pas des clochards, Rocco. Des gens qui ont travaillé toute leur vie. Qui devraient être chez eux à jouer avec leurs petits-enfants, à lire, à regarder la télé. Au lieu de ça ils sont là qu’il pleuve ou qu’il vente à ramasser du fenouil et des vieux choux. »
Rocco Schiavone avait une échelle très personnelle pour évaluer les emmerdements que la vie lui apportait chaque jour. L'échelle commençait au niveau six, c'est-à-dire tout ce qui concernait les tâches domestiques. Les courses, les plombiers, le loyer. Au septième on trouvait les centres commerciaux, la banque, la poste, les laboratoires d'analyse, les médecins en général et les dentistes en particulier, les dîners avec les collègues ou la famille, qui Dieu merci s'en restait à Rome. Au niveau huit venait en premier chef prendre la parole en public, puis les démarches administratives au bureau, le théâtre, les rapports aux préfets et aux magistrats. Au neuf le tabac fermé, les bars sans glaces Algida, rencontrer quelqu'un qui lui tenait la jambe, et surtout les planques avec des agents qui ne se lavaient pas. Enfin, il y avait le dernier degré de l'échelle. Le nec plus ultra, la mère de tous les emmerdements : une affaire qu'on lui mettait sur le dos.
Vous savez quoi ? J'aime bien les gens de ces vallées. Vous êtes propres, honnêtes et sincères. Vous aussi. Vous n'avez qu'un défaut. Vous ne vous occupez pas de vos affaires.
Simplement, il ne nommait pas les journalistes de la presse écrite, il (le préfet, supérieur direct du "sous-préfet" Rocco S.) les appelait "ceux-là". Comme s'il craignait de se salir les lèvres en les appelant par leur nom. Il les détestait. Pour lui, "ceux-là" représentait une forme de vie à peine supérieure à l'amibe, un couac dans la grande oeuvre de la Création. Cela s'appliquait aux journalistes de la presse écrite. "Ceux-là" de la télévision, il ne les considérait même pas comme des êtres vivants.
Pierron ! l'interrompit le sous-préfet. Quand vous étiez encore dans vos cavernes à vous gratter les poux, à Rome on était déjà pédés !
"Tu parles anglais, Italo ? lui demanda t-il.
- Vous savez, monsieur ... répondit l'agent d'un air d'excuse, dans les vallées on parle tous français, et ils nous apprennent bien l'anglais à l'école. On vit du tourisme, vous savez. Les écoles du Val d'Aoste sont excellentes. On apprend les langues, la technique bancaire, on est plutôt à l'avant-garde dans la ...
- Pierron ! l'interrompit le sous-préfet. Quand vous étiez encore dans vos cavernes à vous gratter les poux, à Rome on était déjà pédés!".
Dans cette vie
Il n'est pas difficile
de mourir.
Vivre
est bien plus difficile.
(Vladimir MaÏakovski)
Telle une immense coulée de crème moelleuse la neige recouvrait les plateaux, les escarpements, les rochers. A la regarder ainsi, d'en haut, elle ne paraissait même pas froide. Rocco eut même envie de se jeter dedans et de s'y rouler pendant un quart d'heure. De la manger. Elle devait être douce et moelleuse. Elle brillait de mille éclats de lumière, et s'il la fixait trop longtemps, il sentait une douleur aux yeux, la tête lui tournait. Les toits d'ardoise noire des refuges et des petites maisons étaient submergés : sans les cheminées fumantes, il aurait été impossible de les identifier. Les bâtiments restaient ensevelis dans cette mer blanche d'une netteté absolue comme un troupeau heureux sur son pâturage, somnolent et paresseux.
[...] Le sous-préfet regarda ses pieds. Ses Clarks étaient déjà complètement mouillées, le daim était imbibé d’eau et l’humidité pénétrait dans ses chaussettes. « Monsieur, je vous avais dit qu’il fallait vous acheter une paire de chaussures adaptées.
— Pierron, ne me casse pas les couilles. Moi vivant, je ne mettrai pas ces bétonnières que vous portez aux pieds. »