(…) la folie est le seul espace de liberté qu’il nous reste. (Novak à Sybil)
- Expliquer quoi ? Expliquer à un psychiatre que la folie n’existe pas ? Que le rêve d’un animal sauvage n’est pas d’être domestiqué ? Qu’un cheval n’est pas fait pour porter une selle et un mors ? Que la norme que l’homme veut imposer à la nature et à lui-même est une aberration ? (Novak à Sybil)
Ce qu’on imagine est parfois mieux que la réalité. (Novak)
- Bonjour, dit-elle. Je m’appelle Julie Fraysse. Je suis capitaine au SRPJ de Toulouse…
- Celle qui m’a piqué mon boulot, l’interrompit-il sans la regarder.
- Je n’ai rien piqué du tout. Le poste était vacant et votre employeur m’a engagée. Mais je ne suis pas ici pour me justifier.
Les yeux de Novak s’attardèrent un moment sur le dossier que Julie portait sous le bras puis la dévisagèrent.
- Comment va ce cher Ray ? demanda-t-il pour dissiper le trouble. Celui qui préfère m’envoyer une remplaçante que de venir lui-même me consulter…
- Je ne suis pas une remplaçante, monsieur Marrec, mais…
- Capitaine, rectifia-t-il.
- Je ne suis pas une remplaçante, capitaine, je suis l’officier en charge de cette enquête.
- Mais vous avez tout de même besoin de mon aide…
- Ray m’a ordonné de vous consulter. J’obéis.
- Un bon petit soldat !
Novak ne savait pas ce que « vie personnelle » voulait dire car son instabilité émotionnelle l’empêchait d’en construire une. Il possédait bien un deux-pièces près de la gare, mais il avait refusé d’y remettre les pieds. Son seul contact avec la société était son téléphone portable qu’il gardait sur mode avion, le plus souvent.
Intelligent, cultivé, sauvage et peu loquace, Novak était atteint de trouble obsessionnel délirant, une affection se caractérisant par la présence dans son esprit de fausses certitudes fermement ancrées. Dépassés par leurs hallucinations, les obsessionnels délirants sont comparables à des cocottes-minute prêtes à exploser : crise de panique, d’agressivité, suspicion envers les autres, paranoïa, trous de mémoire, perturbation de l’identité…
Cette instabilité mentale s’accordait mal avec le métier d’enquêteur et, depuis deux ans, Novak tentait de la contrôler par un traitement médicamenteux et une solide relation médecin-patient. Cependant, elle refaisait surface parfois dans les pics de stress.
Jusqu’au-boutiste dans le travail, Novak avait coutume de plonger dans une enquête sans s’en protéger. Ce qui lui avait valu plus d’une fois d’y laisser sa santé.
- Dis-moi que ce n’est pas Maï, là-bas… supplia-t-il.
Désemparée, elle le fixa en silence.
- C’est elle ? insista-t-il, entre deux sanglots.
Ne trouvant pas les mots, Julie se contenta d’acquiescer.
Le cri qui suivit fit trembler toute la vallée. Un mélange de douleur et de colère dont la nature environnante avait réussi à cicatriser. Mais les sanglots d’un père venaient de rouvrir la blessure.
Ce colosse que les policiers ne parvenaient pas à dompter tout à l’heure pleurait à présent dans leurs bras comme un enfant perdu.
Julie leur fit signe de l’emmener. Puis elle tourna les talons et se dirigea vers sa voiture.
Ray lui emboîta le pas.
- Tu vas où, Julie ?
- En vacances avec mes enfants. J’ai pas envie de continuer.
- Fais-moi les premières quarante-huit heures et je double ton congé.
Alors quoi ? Une nouvelle fugue de Maylis ? Mais, dans ce cas, où était Arthur ?
Le cœur de Béatrice se mit à cogner contre sa poitrine. La panique se propageait dans ses veines, engendrant des sueurs froides. Elle fut tentée d’aller réveiller Gabriel pour savoir s’il savait quelque chose, mais se ravisa. Inutile de l’inquiéter pour rien, il y avait sûrement une explication.
Elle se força à garder son calme, puis attrapa son portable et composa le numéro de sa fille. Le ton humoristique du message d’accueil contrastait fortement avec l’état d’anxiété de Béatrice. En attendant le signal sonore, elle fit de son mieux pour masquer son inquiétude…
- Maï, c’est Maman. Tu peux me rappeler, s’il te plaît, ma chérie ? Je veux juste savoir où vous êtes, Arthur et toi.
Elle raccrocha, tenta de contacter son mari, mais lui aussi était sur messagerie.
L’agresseur la souleva à nouveau, la fit pivoter et projeta son corps chancelant contre un lit de branchages amassés en bûcher. Maylis eut à peine le temps de se redresser que déjà son tortionnaire la frappait à la tête avec un rondin.
Elle retomba en arrière, sonnée, mais toujours consciente. Ses membres ne répondaient plus. Seuls ses yeux luttaient encore pour ne pas succomber. Les images et les sons lui parvenaient déformés. Le sang qui coulait de sa blessure au front engluait ses paupières, l’aveuglant un peu plus.
Dans un reste de vision, elle aperçut les bottes militaires de son agresseur qui la contournaient.
Ensuite, plus rien.
Les enfants guérissent -t-ils du deuil plus vite que les adultes, songea-t-il, ou sont-ils juste plus doués pour faire semblant ?
Le berger ne console pas ses brebis, petite Julie . Il fait en sorte qu’elles obéissent à fin de ne pas être dévorer par le loup