L'abandon des principes démocratiques suppose une sorte de glaciation des subjectivités : un mélange de dureté et de sensiblerie caractéristique des périodes où la peur devient la passion sociale dominante.
Une expérience intime se réalise en effet dans le sensible.
S'endormir, c'est descendre dans une étrange sphère d'oubli, et cette descente est indispensable à la reconstitution de la nappe phréatique du soi.
En cela, l'expérience collective du confinement aura peut-être permis d'éprouver sensiblement le fait que le couple, loin d'être une entité seulement affective, n'existe jamais seul.
Il se construit en relation : à deux certes, mais aussi avec tous ceux avec lesquels il interagit. Il peine, dès lors, à survivre à l'isolement.
Ainsi cette crise sanitaire n'est elle pas tant révolutionnaire que "révélationnaire".
Elle a révélé que nous étions entrés dans l'ère de la "synchronisation de l'émotion" qui fait qu'une déflagration, par l'effet de sa propagation mondiale et virale, provoque une "communauté d'émotions instantanées".
La précarité matérielle s'accompagne le plus souvent d'une réduction de l'espace intime. On perd une dimension de sa vie lorsqu'on est contraint en permanence de chercher les moyens de la gagner.
M'inquiète beaucoup ce que j'appellerais le devenir déontologique de l'éthique : sa réduction à une série de devoirs qu'il faudrait enseigner aux soignants, sans s'enquérir des conditions où ils se trouvent.
S'endormir, c'est descendre dans une étrange sphère d'oubli, et cette descente est indispensable à la reconstitution de la nappe phréatique du soi.
Parce qu'il est pauvre en instinct et vient au monde sans le mode d'emploi du monde, l'être humain ne fait pas que vivre, mais exerce le dur métier d'exister : il doit inventer les chemins de sa vie.
À moins d'être un sage stoïcien, je pense qu'il est impossible pour un être humain de vivre complètement dans le présent ; mais réfléchir de manière critique à la forme que l'on donne au temps dans sa propre imagination peut aider.