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Critique de Nastasia-B


Dans La Colonie, Marivaux se fait le chantre, dès 1750 c'est notable (et même, dans sa version initiale, dès 1729 !) des droits de la Femme, ouvrant grand la porte à notre vaillante Olympe de Gouges.

D'ailleurs c'était tout à fait inutile, Monsieur de Marivaux, puisque la société française était (et est toujours) très égalitaire, qu'il ne lui a fallu qu'à peine deux cents ans, après la parution de votre pièce, pour accorder le droit de vote aux femmes, une bagatelle !

Merci et bravo, en tout cas, pour ce courage-là, car il fallait oser, et vous le fîtes, sans peur et sans honte, et vous ne vous laissâtes point démonter par l'insuccès de la première mouture de 1729.
Le principe est le même dans cette pièce que dans l'Île des Esclaves, à savoir un échouage sur une île ou en un lieu sans repère (on sent l'influence déterminante de Robinson Crusoé, publié en 1719), où il s'agit d'édifier des règles de conduite.

En l'espèce, les femmes, frustrées d'être cantonnées à des tâches subalternes et d'obéissance, réclament leur droit à édicter des lois conjointement avec les hommes et à avoir accès à tous les types d'emplois. Ce n'est donc pas peu dire que Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux était fort en avance sur son temps.

On peut certes s'interroger sur ses intimes convictions, notamment quant aux limites du pouvoir féminin, le penchant viscéral qu'il dépeint au crêpage de chignon, le fait que placées dans la même position de supériorité que les hommes, les femmes, de la même façon aiment à jouir et abuser de leurs privilèges et ne se montrent pas plus que les hommes prêtes à partager les meilleurs morceaux…

Ceci vient probablement du fait que l'auteur ne se faisait pas beaucoup d'illusions sur le genre humain dans son entier. Saurait-on lui donner tort ?... Donc, une belle petite comédie sociale, qui appuie là où ça faisait mal pour l'époque (et même pour beaucoup d'autres époques ultérieures dont je n'exclus pas la nôtre).

Avec l'Île des Esclaves, c'est à l'aristocratie qu'il s'en prend et qu'il met le feu. Ouh ! que ça devait faire mal pour ces beaux messieurs, ces belles dames, d'entendre ça ! Car Marivaux sait très bien de quoi il parle et sait également à qui il s'adresse.

Il faut saluer là-encore ce beau courage de dire tout haut, dès 1725, à une époque où les Lumières sont encore au stade de l'étincelle, d'un feu tout juste ébauché, à peine allumé par le philosophe anglais John Locke, que l'aristocratie se comporte envers le peuple de la façon la plus abjecte, qu'elle est, même vis-à-vis d'elle-même, mesquine, superficielle et viciée. Rien que ça. Pour la deuxième fois, chapeau Monsieur de Marivaux.

Elle est petite cette comédie, un seul acte, mais elle est corrosive à souhait et l'on y sent comme un avertissement, comme un tintement de sonnette à l'adresse de la classe dirigeante, comme un avant-goût de révolte, n'est-ce pas ?... Assez parlé ! L'histoire, quelle est-elle ?

Au large de la Grèce (On éloigne un peu l'action histoire de ne pas trop s'attirer les foudres de la cour de Louis XV, mais tout le monde s'y reconnaît cependant.), un bateau, transportant des personnes de qualité et leurs domestiques, fait naufrage. Or, le naufrage a lieu sur L'Île des esclaves, une île où, des années auparavant des domestiques ou des esclaves (Marivaux emploie le terme esclave pour désigner les domestiques ce qui renforce le trait) mutinés ont trouvé refuge ici bas et ont, au passage, trucidé leurs maîtres.

Depuis lors, dès qu'un arrivage se fait sur l'île, ces compagnons démocrates de l'île (eux-mêmes ex-serviteurs) infligent une inversion des positions sociales aux naufragés. C'est ainsi qu'Iphicrate, le maître et son serviteur Arlequin ainsi qu'Euphrosine et sa servante Cléanthis vont faire l'expérience d'une inversion des rôles sous la houlette de Trivelin, le grand ordonnateur de l'île.

Ceci est bien sûr le prétexte à de nombreuses répliques comiques, mais aussi et surtout à une prise de conscience de l'iniquité avec laquelle les maîtres ont conduit leur destinée jusqu'alors, notamment envers leurs subordonnés.

Je vous laisse savourer la chute et ce qui a bien pu l'inspirer à Marivaux en cet Ancien Régime flamboyant. Il demeure une très belle comédie sociale, pleine d'allant et de sous-entendus, que j'élèverais sans honte au firmament de mes cinq étoiles s'il n'était une impression de trop grande brièveté. Je vous la conseille sans hésitation, mais tout ceci n'est que mon avis, de femme et de servante, c'est-à-dire, à l'époque comme de nos jours, bien peu de chose.
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