Dans tout ce qui s’est passé chez vous, il n’y a rien de vrai que ma passion qui est infinie, et que le portrait que j’ai fait. (p129)
Je connais l’humeur de ma maîtresse, je sais votre mérite, je sais mes talents, et je vous conduis, et on vous aimera, tout raisonnable qu’on est ; on vous épousera, toute fière qu’on est, et on vous enrichira, tout ruiné que vous êtes, entendez-vous ?
Dorante.
Araminte pourtant m’a dit que je lui étais insupportable.
Dubois.
Elle a raison. Voulez-vous qu’elle soit de bonne humeur avec un homme qu’il faut qu’elle aime en dépit d’elle ? Cela est-il agréable ? Vous vous emparez de son bien, de son cœur ; et cette femme ne criera pas ! Allez vite, plus de raisonnements : laissez-vous conduire.
Dubois.
Il vous adore ; il y a six mois qu’il n’en vit point, qu’il donnerait sa vie pour avoir le plaisir de vous contempler un instant. Vous avez dû voir qu’il a l’air enchanté, quand il vous parle.
Araminte.
Il y a bien, en effet, quelque petite chose qui m’a paru extraordinaire. Eh ! juste ciel ! le pauvre garçon, de quoi s’avise-t-il ?
Dubois.
Vous ne croiriez pas jusqu’où va sa démence ; elle le ruine, elle lui coupe la gorge. Il est bien fait, d’une figure passable, bien élevé et de bonne famille ; mais il n’est pas riche ; et vous saurez qu’il n’a tenu qu’à lui d’épouser des femmes qui l’étaient, et de fort aimables, ma foi, qui offraient de lui faire sa fortune, et qui auraient mérité qu’on la leur fît à elles-mêmes. Il y en a une qui n’en saurait revenir, et qui le poursuit encore tous les jours. Je le sais, car je l’ai rencontrée.
Araminte, avec négligence.
Actuellement ?
Dubois.
Oui, madame, actuellement ; une grande brune très piquante, et qu’il fuit. Il n’y a pas moyen ; monsieur refuse tout. « Je les tromperais, me disait-il ; je ne puis les aimer, mon cœur est parti. » Ce qu’il disait quelquefois la larme à l’œil ; car il sent bien son tort.
Araminte.
Eh ! de quoi peut-il donc être question ? D’où vient que tu m’alarmes ? En vérité, j’en suis toute émue.
Dubois.
Son défaut, c’est là. (Il se touche le front.) C’est à la tête que le mal le tient.
Araminte.
À la tête ?
Dubois.
Oui ; il est timbré, mais timbré comme cent.
Araminte.
Dorante ! il m’a paru de très bon sens. Quelle preuve as-tu de sa folie ?
Dubois.
Quelle preuve ? Il y a six mois qu’il est tombé fou, qu’il en a la cervelle brûlée, qu’il en est comme un perdu. Je dois bien le savoir, car j’étais à lui, je le servais ; et c’est ce qui m’a obligé de le quitter ; et c’est ce qui me force de m’en aller encore : ôtez cela, c’est un homme incomparable.
Araminte, un peu boudant.
Oh bien ! il fera ce qu’il voudra ; mais je ne le garderai pas. On a bien affaire d’un esprit renversé ; et peut-être encore, je gage, pour quelque objet qui n’en vaut pas la peine ; car les hommes ont des fantaisies !…
Dorante.
Cette femme-ci a un rang dans le monde ; elle est liée avec tout ce qu’il y a de mieux, veuve d’un mari qui avait une grande charge dans les finances ; et tu crois qu’elle fera quelque attention à moi, que je l’épouserai, moi qui ne suis rien, moi qui n’ai point de bien ?
Dubois.
Point de bien ! votre bonne mine est un Pérou. Tournez-vous un peu, que je vous considère encore ; allons, monsieur, vous vous moquez ; il n’y a point de plus grand seigneur que vous à Paris : voilà une taille qui vaut toutes les dignités possibles, et notre affaire est infaillible, absolument infaillible. Il me semble que je vous vois déjà en déshabillé dans l’appartement de madame.
ARAMINTE
Eh ! de quoi peut-il donc être question ? D'où vient que tu m'alarmes ? En vérité, j'en suis tout émue.
DUBOIS
Son défaut, c'est là. (Il se touche le front.) C'est à la tête que le mal le tient.
ARAMINTE
A la tête !
DUBOIS
Oui, il est timbré ; mais timbré comme cent.