— Pourquoi votre mari est-il appelé le Corps sans Âme ? demanda le garçon un peu surpris.
— C’est, répondit-elle, parce que son âme n’habite point son corps. Il possède un lion effrayant dans le corps duquel se trouve un loup. Ce loup a dans son ventre un lièvre qui lui-même renferme une perdrix, et la perdrix a treize œufs. C’est dans le treizième œuf que se trouve l’âme de mon mari. Je voudrais bien rencontrer un homme assez courageux pour tuer le lion et ôter les œufs du corps de la perdrix, car ce maudit géant m’a enlevée et je souhaite qu’il soit puni pour toutes les mauvaises actions qu’il a commises. As-tu assez de courage pour tenter l’aventure ?
Dans la vallée de la Vilaine, à l’endroit où le fleuve s’étale dans une grande plaine où il reçoit les eaux du Don, on peut voir une sorte de lac envahi par les roseaux, peuplé d’oiseaux de passage qui vont et viennent à travers le
monde et qui apportent en cette région un peu du grand souffle du large. C’est la Mer de Murin.
Mais ce ne fut pas toujours cette mélancolique étendue d’eaux mortes. Autrefois, à ce qu’on dit, à cet emplacement, s’élevait une épaisse forêt qui couvrait tout le fond de la vallée. Chaque jour, on y entendait le bruit des haches des bûcherons, et tout le pays alentour venait faire des provisions de bois.
Comme il traversait une prairie, il aperçut une grenouille. Il voulut l’écraser, mais la grenouille se trouvait entre les dents d’un râteau : il leva le pied et, tandis que la bête s’échappait, il donna un coup violent sur les dents du râteau tant et si bien que le manche de l’instrument se souleva et heurta violemment la figure du petit tailleur.
— Bien, dit-il. C’est donc idiot de vouloir écraser les grenouilles. Marchons toujours.