La pratique automatique consiste à laisser s’exprimer la main, le crayon, le pinceau et la couleur sans préméditation. Nicoll est si enthousiaste qu’au cours des six années suivant cette collaboration, elle remplit des piles de carnets de croquis mesurant plus d’un mètre de haut. Les compositions intitulées Untitled [Automatic Drawing] (Sans titre [Dessin automatique]), toutes deux de 1948, illustrent ses efforts. Pour ses œuvres automatiques, le processus créatif comporte deux étapes : se tourner vers l’intérieur, vers son imagination, puis matérialiser son imagerie en peinture ou en dessin. Elle explique qu’elle trouve l’expérience d’accéder à son monde intérieur, rempli de symboles et de souvenirs oubliés, si régénérante que, « en faire une [composition automatique], c’est comme faire une sieste de deux heures ».
L’automatisme, par lequel Nicoll est allée à la rencontre de sa réalité intérieure, soit la capacité de se retirer du monde extérieur pour y revenir ensuite en tant qu’artiste exposante, demeure en elle. Elle ne libère jamais ses peintures du monde réel pour qu’elles ne soient que formes et couleurs pures, car l’environnement ne cesse de compter pour Nicoll. L’abstraction est son langage, car elle est en phase avec son époque : la modernité.
En 1968, Nicoll réalise trois nouvelles abstractions correspondant esthétiquement à chacun des mois d’hiver; Janvier ’68 est la première d’entre elles. Malgré son inconfort physique, elle crée l’un des tableaux les plus importants de la fin de sa carrière, une oeuvre qui suscite un intérêt national et international. À son amie Janet Mitchell (1912-1998), elle explique les répercussions de la météo sur sa santé à l’époque : « Nous avons eu dix jours de froid, alors naturellement, j’ai eu mal. Maintenant, il fait 0 degré [-18 Celsius] et le vent souffle, la neige est presque parallèle au sol. Les bouleaux s’agitent dans tous les sens…. Je porte un pantalon de survêtement gris (pour les hommes qui s’entraînent) avec des chaussettes, un chandail vert à manches longues et à col montant et un muumuu par-dessus le tout. » En mars, Nicoll est hospitalisée et n’obtient son congé qu’à la mi-mai.
En 1946, Marion Nicoll est la seule enseignante féminine embauchée par la Banff School of Fine Arts pour son programme estival. Parmi les membres de la faculté figure Jock Macdonald (1897-1960), qui vient également d’être nommé directeur du Département des arts du Provincial Institute of Technology and Art (PITA). C’est probablement sous sa gouverne que Nicoll se joint à l’organisation en 1947, en tant qu’enseignante au sein de l’école des métiers. Ce poste est déterminant pour son travail des années 1950, au moment où elle se fait connaître pour ses cours de design, d’arts d’impression, d’arts textiles, de travail du cuir et de fabrication de bijoux. Elle est admirée partout au pays pour ses batiks, tandis que ses broches, ses pendentifs, ses boucles d’oreilles et ses bagues sont présentés au sein d’expositions itinérantes.
Elle jouit d’un regain de confiance en 1936, lorsque son œuvre Mountain Water (Eau de montagne), v.1936, est acceptée pour l’événement Exhibition of Contemporary Canadian Painting (Exposition de peinture canadienne contemporaine) de la Galerie nationale du Canada (aujourd’hui le Musée des beaux-arts du Canada, MBAC), qui circule en Afrique du Sud, en Australie, en Nouvelle-Zélande et à Hawaï. Lorsque l’œuvre est présentée à Toronto dans le cadre de l’Exposition nationale canadienne de 1939, un critique la décrit comme « réussissant à procurer la sensation d’un torrent montagnard turbulent cascadant entre les rochers ». Avec sa palette harmonieuse de tons terreux, ses coups de pinceau libres et sa composition en plan rapproché, ce tableau témoigne de l’évolution stylistique de l’artiste.