D'entrée de jeu, je crois pouvoir dire que cet album affiche la couverture la plus réussie de toute la série. On y retrouve tout ce qui fait le talent de
Jacamon : un trait simplifié mais d'une redoutable efficacité dans les premiers plans et une faculté à suggérer des décors époustouflants. Sa force ne tient pas tant dans la méticulosité de son trait que dans cette incroyable faculté à gérer la couleur mais aussi, et surtout, la lumière. Surprenante luminosité qui transforme des arrières-plans à peine suggérés en cinémascope. Il suffit pour s'en convaincre de contempler la séquence d'ouverture, page 4 & 5, où les deux personnages improvisent une séance de shopping à Mexico City. On y sent la foule grouillée derrière eux sans pour autant distinguer le moindre visage. Il aura suffit d'une illustration pleine page à la planche précédente et d'une mise en situation à la case 1 de la planche 2 pour lancer l'illusion. Mais ce n'est que le début et vous allez n'avez pas fini d'en prendre plein les yeux. Les séquences sur la frontière sont superbes de nuit comme de jour. Chapeau l'artiste !
Et puis, il y a cette narration graphique, ce sens du cadrage et de la scène d'action. le dessinateur n'hésite pas à déstructurer certaines images chocs afin de leur donner encore plus d'intensité dramatique. Stratagème dont il fait en sorte de ne pas abuser. Enfin, depuis le début de la série, les auteurs ont obtenu de développer leur histoire sur 54 planches au lieu des 46 admises généralement pour ce type de format. Cela donne de l'air, de l'espace et permet des pages de 5 à 6 cases en moyenne. Pour qui maîtrise pleinement le sens de l'ellipse, c'est du pain béni et nos auteurs ne s'en privent pas.
Pour ce qui est du scénario, pas vraiment de nouvelle recette. Matz maîtrise parfaitement son sujet et ne prend pas de risque inconsidéré. Certains trouveront peut-être cela un peu facile mais ne vous y trompez pas. Certes, on reste pour l'essentiel dans une narration en voix of. le Tueur affiche toujours ce cynisme un tantinet moralisateur qui a autant le don d'agacer que de titiller notre fibre humaniste. Contradictoire ?… Probablement. Mais cet exécuteur des basses oeuvres, anonyme qui plus est, incarne de façon certaine un des plus sombres aspects de la nature humaine.
Seulement voilà, maître Matz a choisi de ne pas s'arrêter là et de faire évoluer son personnage. Fini les atermoiements entre misanthropie assumée et élans philanthropiques hésitants. le Tueur se voit désormais affublé d'une âme et de préoccupations pour lesquelles il ne se serait jamais cru capable du moindre intérêt. Et ça change la donne.
Je dois confesser un léger désintérêt pour la série depuis le début de ce nouveau cycle (tome 6 & 7). C'était une erreur. Car même si le récit avance lentement, l'intrigue générale se dessine petit à petit, par touches successives. Les éléments anodins disséminés au cours des opus précédents se mettent en place et le scénariste nous mène exactement où il le souhaitait à la fin de cet album, à savoir un redoutable clifhanger qui laisse présager d'un tome 10 riche de rebondissements.
Pour l'instant, un des meilleurs opus de la série.