Citations sur Bel-Ami (634)
- Va-t’en trouver ma femme, elle t’arrangera ton affaire aussi bien que moi. Je l’ai dressée à cette besogne-là. Moi, je n’ai pas le temps ce matin, sans quoi je l’aurais fait bien volontiers.
Au matin, Duroy s’éveilla de bonne heure. Il s’assit devant sa table, trempa sa plume dans l’encrier, prit son front dans sa main et chercha des idées. Ce fut en vain. Rien ne venait.
Il ne se découragea pas cependant. Il pensa : “Bah, je n’en ai pas l’habitude. C’est un métier à apprendre comme tous les métiers. Il faut qu’on m’aide les premières fois. Je vais trouver Forestier, qui me mettra mon article sur pied en dix minutes.”
Son ami lui dit à mi-voix :
- Demain, trois heures, n’oublie pas.
- Oh ! non, ne crains rien.
Quand il se retrouva sur l’escalier, il eut envie de descendre en courant, tant sa joie était véhémente, et il s’élança, enjambant les marches deux par deux ; mais tout à coup il aperçut, dans la grande glace du second étage, un monsieur pressé qui venait en gambadant à sa rencontre, et il s’arrêta net, honteux comme s’il venait d’être surpris en faute.
Puis il se regarda longuement, émerveillé d’être vraiment aussi joli garçon ; puis il se sourit avec complaisance, puis, prenant congé de son image, il se salua très bas, avec cérémonie, comme on salue les grands personnages.
Le père Walter devint sérieux et releva tout à fait ses lunettes pour regarder Duroy bien en face. Puis il dit : “Il est certain que M. Duroy a un esprit original. S’il veut bien venir causer avec moi, demain à trois heures, nous arrangerons ça.” Puis, après un silence, et se tournant tout à fait vers le jeune homme : “Mais faites-nous tout de suite une petite série fantaisiste sur l’Algérie. Vous raconterez vos souvenirs, et vous mêlerez à ça la question de la colonisation, comme tout à l’heure. C’est d’actualité, tout à fait d’actualité, et je suis sûr que ça plaira beaucoup à nos lecteurs.”
Forestier saisit le moment : - Mon cher patron, je vous ai parlé tantôt de M. Georges Duroy, en vous demandant de me l’adjoindre pour le service des informations politiques.
Toutes les femmes avaient les yeux sur lui. Mme Walter murmura de sa voix lente : “Vous feriez avec vos souvenirs une charmante série d’articles.” Alors Walter considéra le jeune homme par-dessus le verre de ses lunettes, comme il faisait pour bien voir les visages.
Mme de Marelle, qui venait de causer avec Mme Forestier, l’appela : - Eh bien ! monsieur, lui dit-elle brusquement, vous voulez donc tâter du journalisme ?
Mais la porte s’ouvrit de nouveau, et un petit gros monsieur, court et rond, parut, donnant le bras à une grande et belle femme, plus haute que lui, beaucoup plus jeune, de manières distinguées et d’allure grave. C'était M. Walter, député, financier, homme d’argent et d’affaires, juif et méridional, directeur de La Vie Française, et sa femme.
Alors Forestier se mit à rire : - Dis donc, mon vieux, sais-tu que tu as vraiment du succès auprès des femmes ? Il faut soigner ça. Ça peut te mener loin. Il se tut une seconde, puis reprit, avec ce ton rêveur des gens qui pensent tout haut : - C’est encore par elles qu’on arrive le plus vite.
Dès qu’ils furent assis devant la table du café, Forestier cria : “Deux bocks”, et il avala le sien d’un seul trait, tandis que Duroy buvait la bière à lentes gorgées, la savourant et la dégustant, comme une chose précieuse et rare.
Son compagnon se taisait, semblait réfléchir, puis tout à coup :
- Pourquoi n’essayerais-tu pas du journalisme ?
L’autre, surpris, le regarda ; puis il dit : - Mais… c’est que… je n’ai jamais rien écrit.
- Bah ! on essaye, on commence. Moi, je pourrais t’employer à aller me chercher des renseignements, à faire des démarches et des visites. […] Veux-tu que j’en parle au directeur ?
- Mais certainement que je veux bien.
- Alors, fais une chose, viens dîner chez moi demain […]. Est-ce entendu ?
Duroy hésitait, rougissant, perplexe. Il murmura enfin :
- C’est que… je n’ai pas de tenue convenable.
Forestier fut stupéfait : - Tu n’as pas d’habit ? Bigre ! en voilà une chose indispensable pourtant. À Paris, vois-tu, il vaudrait mieux n’avoir pas de lit que pas d’habit.
Puis, tout à coup, fouillant dans la poche de son gilet, il […] prit deux louis, les posa devant son ancien camarade, et, d’un ton cordial et familier : - Tu me rendras ça quand tu pourras. Loue ou achète au mois, en donnant un acompte, les vêtements qu’il te faut ; enfin arrange-toi, mais viens dîner à la maison, demain, sept heures et demie, 17, rue Fontaine.