Mary Anne

L'auteur retrace la vie de son ancêtre et son histoire méritait vraiment d'être connue.

Mary Anne est une petite fille des faubourgs pauvres de Londres, qui a ce point commun avec Scarlett (de Gone With the Wind) d'avoir connu la pauvreté, la faim, la peur, et qui fera tout pour les éviter à l'avenir.

On assiste donc à l'ascension d'une petite fille futée, intelligente, courageuse, qui prendra en charge sa famille, ses frères et soeurs. Mary Anne se marie par amour, puis tombe de haut en découvrant la médiocrité de son amoureux, mais le soutiendra malgré tout, lui et les enfants qu'ils auront ensemble, jusqu'à ce que la situation ne soit plus tenable. Elle va avoir l'occasion de découvrir l'hypocrisie des moeurs propre à chaque époque, et c'est logiquement qu'elle comprendra qu'elle n'a plus que sa beauté et son intelligence pour se sauver de la pauvreté extrême. Elle entame donc ce qu'on pourrait appeler une carrière de courtisane (on va rester polie) et ce jusqu'à "accrocher" le duc d' York. Mary Anne fera alors l'expérience du pouvoir et de ses travers, jusqu'à sa propre chute. Les gagnants et les perdants sont toujours les mêmes.

J'ai adoré ce récit, d'une part car Mary Anne est une femme forte, une femme de tête, courageuse, ambitieuse, et surtout une mère qui se bat pour ses enfants. C'est aussi une femme très lucide sur son époque et sur l'hypocrisie de ses moeurs, qui accepte galamment la maitresse royale avec forces courbettes, et qui la piétinera sans regrets une fois que sa lumière aura terni.

Cette femme, avec son romantisme à fleur de peau, et sa volonté de fer, est un portrait touchant à lire.

De Mary Anne Clarke, née à Londres en 1776, Wikipédia nous apprend essentiellement qu'elle fut courtisane, maîtresse du duc d'York (second fils du roi George III et commandant en chef des armées britanniques), puis figure centrale d'un scandale impliquant la vente de commissions militaires qui entraîna la démission de son auguste amant. Que d'autres remous suivirent, qu'elle fut poursuivie pour diffamation et emprisonnée pendant 9 mois avant de finir sa vie en France... où sa fille épousa un certain Louis-Mathurin Buisson du Maurier, père de George, grand-père de Gerald, arrière-grand-père de Daphné.


De sa trisaïeule, ladite Daphné dresse ici un portrait magnifique qui révèle la femme derrière la courtisane, l'individu sensible et volontaire derrière l'image sulfureuse laissée à la postérité par les scandales et les libelles. On y découvre la toute jeune Mary Anne dans l'impasse populeuse de Bowling Inn, luttant déjà du haut de ses dix ans contre la misère qui menace, l'indolence d'un beau-père trop porté sur la bouteille, qui les abandonnera, la résignation de sa mère, qu'elle ne supporte pas, luttant si bien qu'elle se fait offrir une éducation de demoiselle... avant de succomber aux charmes d'un joli garçon de bonne famille. Lutter encore pour l'épouser... avant de découvrir qu'elle a lié son sort à celui d'un incapable, alcoolique et déjà rejeté par les siens. Lutter toujours contre le sort contraire, abandonner cet époux qui n'est plus qu'un boulet et tête haute, par ambition, par désir de bien vivre, pour ses enfants surtout, saisir une opportunité qui passe, en arranger quelques autres et se lancer dans la prostitution de luxe. Où elle sera chérie par beaucoup, utilisée aussi par ceux qui veulent réussir, manipulée dans l'ombre par des agents de l'opposition politique. Simple pion sur l'échiquier, dans une bataille qui la dépasse de très loin, où scandale et corruption sont des armes redoutables - mais pion pas si simple, à vrai dire, manipulant aussi, à sa manière charmeuse, redoutable et fort capable de trancher d'un coup de dents la main qui l'abandonne lâchement après l'avoir utilisée.

De tout cela, ressort un personnage diablement sympathique jusque dans ses défauts, son obstination et sa démesure. Une femme intelligente, courageuse, spirituelle, drôle, généreuse - une grande héroïne féministe, capable de toutes les audaces pour tirer son épingle du jeu dans un monde dominé par les hommes. Ces hommes si faibles et si veules, si souvent décevants, mais dont l'univers offre de bien plus passionnantes aventures que celui réservé alors aux femmes.

Le portrait est sans doute un brin orienté par les propres vues de l'auteur - mais qu'importe. Il est assez enthousiasmant, et offre au lecteur quatre cents pages d'un excellent roman historique plein de vie et de couleurs, de dialogues étincelants, de truculence et d'émotion.
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Le monde où Mary Anne est née est un monde d'hommes. Il n'y pas grand place en effet pour une jeune femme née dans une famille pauvre, où le beau-père ne vaut pas grand chose et où la mère est bien trop usée pour défendre ses enfants contre le monde.
Qu'à cela ne tienne, Mary Anne retrousse ses manches, bien décidée à arracher au monde ce qu'il ne veut pas donner de lui-même. Et elle a de l'appétit, pas seulement pour elle-même. Une grande part de sa lutte est pour assurer une bonne situation aux siens, un toit décent à sa mère, un grade à son frère dans le régiment de son choix, une bonne école à ses enfants...Et cela amènera la dame à être courtisane, maîtresse d'un des fils du roi, mêlée à un procès pour faire tomber le dit rejeton royal, et même en prison!
Elle est assez sympathique, pour être honnête. Contrairement au reste du casting. Sous ses dehors débonnaires, le beau-père est une fripouille, le frère est un imbécile même pas reconnaissant et le prince un fichu hypocrite. le tout dans un univers où la seule autre possibilité pour elle serait de tenter de vivre de sa plume, un métier qui ne lui donnerait jamais les sommes nécessaires. (Car, en plus de faire vivre à ses crochets toute la smala, elle a tout de même des goûts un tantinet dispendieux)
J'ai aimé le courage et presque la rage de Mary Anne, ce refus indomptable de se laisser abattre, qui la sous-tend à chaque moment de sa vie. Tout s'effondre comme un château de cartes? Et bien elle s'accorde quelques heures de désespoir, puis elle remonte ses manches et recommence!

Un grand personnage, dont Daphné du Maurier était la descendante, pour un grand roman!