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Mary Anne", c'est avant tout le récit d'une destinée, et le portrait d'une femme atypique.
Tout commence dans un quartier miséreux de Londres, à la toute fin du XIXème siècle. Aînée de trois enfants,
Mary Anne est une petite fille dégourdie et intelligente. Elle a même appris à lire et à écrire en aidant son beau-père à corriger les épreuves que lui confie une imprimerie spécialisée dans la publication de pamphlets qui visent la politique extérieure du gouvernement et relaient les ragots touchant les grands de la cour. le responsable de ladite imprimerie, impressionné par son aplomb et et ses capacités, prend en charge son éducation dans un établissement pour jeunes filles.
Lorsqu'elle en sort, à seize ans, sa fraîcheur et son assurance attire le regard des hommes, et
Mary Anne ne pense qu'à une chose : s'échapper de l'impasse populeuse de Bowling Inn où végète sa mère, qui a de plus en plus de mal à joindre les deux bouts, depuis que son époux l'a quittée.
Bien que futée,
Mary Anne n'en est pas moins une jeune fille que son aspiration à une autre existence et son manque d'expérience rendent naïve. Elle est ainsi rapidement séduite par le premier quidam dont la prétention, les ambitions et la soi-disant appartenance à une famille en vue lui font entrevoir les possibilités d'un avenir radieux... A seize ans, elle épouse donc Joseph, dont les promesses de richesses et d'élévation sociale ne font pas long feu.
Mary Anne se retrouve bientôt mère de trois enfants, à subir les échecs successifs d'un mari fainéant et alcoolique.
L'histoire, semblable à tant d'autres, aurait pu s'arrêter là... Cela aurait été sans compter sur la volonté de fer de
Mary Anne, son aspiration forcenée à devenir quelqu'un.
Laissant son mari aux bons soins de sa belle-famille, mais emmenant ses enfants avec elle, elle tient salon dans une luxueuse demeure, devient courtisane de luxe, se fait des relations. Son ascension culmine lorsqu'elle devient la maîtresse officielle du Duc d'York, fils du roi et chef des armées, mais affligé d'une incorrigible pingrerie. Aussi, pour assurer un train de vie devenu très dispendieux,
Mary-Anne se lance dans le trafic de promotions militaires, avec la complicité tacite du duc, que cela arrange bien...
Toute cette partie relative à la progression sociale de
Mary-Anne, d'une confortable fluidité, romanesque à souhait, est à mon sens la plus intéressante. On y navigue des quartiers populaires et grouillants de Londres aux salons accueillant le beau monde, où la ruse et l'humour de l'héroïne font fureur. Les épisodes qui suivent, principalement composés du détail des manigances permettant à l'héroïne d'arrondir ses fins de mois, m'ont paru bien longs, peuplés de multiples personnages que leurs apparitions souvent fugaces font vite oublier.
Puis survient la chute : quittée par le Duc, le désir de vengeance de
Mary-Anne l'engage dans une bataille juridique dont elle ne se relèvera pas... et bien que le dernier tiers du roman comporte certains passages savoureux, notamment lorsque
Mary-Anne s'exprime, avec son ironie habituelle, devant le tribunal, je n'y ai pas retrouvé le souffle et la dynamique qui avaient rendu le début de la lecture si plaisant.
Un autre élément m'a empêché d'apprécier pleinement ce roman. Si l'on comprend la fascination de Daphné du Maurier pour son héroïne (inspiré de sa propre trisaïeule), femme de tête et d'esprit parvenant à s'imposer dans un monde d'hommes, électron libre que sa démesure, ses enthousiasmes et sa ténacité rendent singulièrement attachante, on peut regretter que le récit soit entièrement focalisé sur sa personnalité, sur ses actes. Les personnages secondaires, y compris ses proches, délaissés, en deviennent insignifiants, ce qui amoindrit la densité de l'intrigue.
Un avis en demi-teinte donc, pour ce texte secondaire dans l'oeuvre d'une auteure que j'apprécie par ailleurs grandement.
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