Anna est française et aime l'Allemagne. Elle arrive pour
trois jours à Berlin-Ouest le 9 novembre 1989 et passe la journée à l'Est. Ce soir-là, après le remplacement d'Erich Honecker à la tête de la RDA sous la pression combinée de l'opinion des Allemands de l'Est et de
Gorbatchev, le porte-parole du gouvernement annonce en direct à ses concitoyens incrédules la liberté de circuler hors de leur pays. Un journaliste lui pose alors la question : "Quand ?". L'interviewé, qui n'a pas d'autre précision sur le papier qu'il vient de lire, répond après avoir hésité : "À partir de maintenant".
Il fait nuit. Il fait froid. Pourtant, dans les minutes qui suivent l'annonce, la ville frémit et se réveille d'une très longue léthargie. Progressivement, les gens descendent de leurs immeubles et convergent vers les postes-frontières insérés dans le mur. Les soldats, sans consigne, ne savent que faire. Sous la pression grandissante, ils laissent passer au compte-gouttes les plus vindicatifs de leurs compatriotes, puis, la poussée de la foule aidant, ouvrent complètement les grilles et regardent courir vers l'Ouest le flot innombrable de ceux qui se jettent dans les bras de leurs "cousins de l'Ouest" dont ils ont été séparés pendant 28 ans. On chante, on boit, on danse, on pleure, on rit, on s'embrasse ; une joie palpable traverse et électrise tout un peuple.
Ce récit attachant nous offre tour à tour les impressions et sentiments de divers personnages confrontés à cette situation exceptionnelle. Chacun d'eux vit un moment historique et le sait. Pour les uns, c'est la réalisation d'un rêve ; pour d'autres la fin d'un engagement. Cela commence par de l'incrédulité devant la nouvelle, puis la descente dans la rue pour vérification de ce qui a été entendu à la télévision, la prudente approche du mur, le dialogue avec les soldats et l'hésitation de ces derniers devant l'imprévu, la boisson partagée, le silence de tout l'appareil étatique tétanisé dans l'indécision, silence bientôt dépassé par les chants et les cris qui saluent sur le mur un destin commun retrouvé.
Preuve est faite qu'un mur peut tomber. Sans un coup de feu.
Ce court reportage romancé tire sa force d'attraction d'une sensibilité contenue, mais suffisamment perceptible pour être communicative.