On fait la connaissance de deux amis, que l'on va suivre tout au long du roman. L'un, Bassam, est Palestinien, l'autre, Rami, est Israélien, tous les deux sont des pères en deuil, chacun ayant une fille tuée dans ce conflit qui n'en finit pas, à coup de pierres d'un côté et de balles en caoutchouc dont le coeur est en fait constitué de métal.
Bassam a passé plusieurs années en prison après avoir lancé des grenades sur des jeeps israéliennes, et il y a subi un traitement particulièrement dur. Une fois libéré, il s'est marié, a eu des enfants, s'est construit une nouvelle vie. Il est musulman pratiquant. Sa fille Abir, a été assassinée à l'âge de 10 ans par une balle perdue alors qu'elle allait acheter des bonbons, un bracelet de bonbons pour être tout à fait précise, bracelet que son père conservera longtemps.
« La balle était faite de métal en son coeur, mais revêtue à son extrémité d'un caoutchouc vulcanisé spécial. Lorsqu'elle heurta le crâne d'Abir, le caoutchouc se déforma légèrement, puis retrouva sa forme originelle, sans causer le moindre dégât notable à la balle elle-même. »
Rami est Israélien, un « Jérulasémite de la septième génération » comme il aime à le dire ; sa fille Smadar a été victime d'un commando palestinien qui s'est fait exploser dans une boutique où elle allait acheter de livres pour l'école.
Tous les deux auraient pu sombrer dans la haine, le désir de vengeance, mais malgré l'immensité de leur chagrin, ils décident de s'engager pour la paix, dans un groupe de
discussion, « le Cercle des parents » composé de personnes ayant perdu un enfant, un proche pendant cette guerre. Ils se réunissent dans un hôtel au milieu des pins : « l'hôtel Everest de Beit Jala, dans la zone B sur une colline faisant face à la station de baguage des oiseaux. »
On rencontre aussi leurs épouses, Salwa et Nurit et leurs autres enfants mais elles ne s'expriment pas forcément de la même manière que leurs époux, notamment le groupe de parole. Mais, chacun respecte la manière dont l'autre évolue dans le processus de deuil.
Ce roman est un OVNI : l'exercice de style en lui-même est déjà génial ; 1001 chapitres d'une intensité et d'une longueur différentes chaque fois, avec une petite touche qui ne peut que plaire au lecteur, car il y a deux chapitres 500 un pour chacun des protagonistes, le 1001 s'intercalant entre les deux et ensuite le décompte repart dans l'autre sens, de 500 à 1.
Souvent, l'auteur nous offre une image ou une photo comme contenu, ou encore une citation pour adoucir le propos :
« Chapitre 32 : le garde-frontière qui tira la balle avait dix-huit ans. »
Chapitre 81 : « être avec toi ou ne pas être avec toi est la mesure de mon temps. » Borges
Il nous propose aussi d'autres entrées, comme autant de côté de l'Apeirogon : le funambule, les migrations des oiseaux, François Mitterrand dégustant des ortolans, la tête dissimulée sous un torchon en présence de ceux qui l'accompagnent et ne font qu'assister, le silence troublé par le bruit des os qu'il est en train de broyer. On a même la manière de préparer ses pauvres oiseaux, qui n'a rien à envier au traitement des oies et des canards pour le foie gras…
On rencontre Jorge Luis Borges arpentant les rues de Jérusalem en 1970 ou le funambule Philippe Petit qui se déplace sur un fil de quelques centimètres, habillé aux couleurs du drapeau et qui voulait en profiter pour sortir une colombe de sa poche au cours de la traversée, mais en guise de colombe on lui donné un pigeon, qui ne voulait pas s'envoler. le pigeon a préféré voler au-dessus de sa tête, et il se demandera toujours pour quelle raison.
On rencontre au passage, Godefroy de Bouillon, les Croisades du XIIe siècle pour aller quelques instants plus tard en 1990 ou en 700 avant Jésus Christ car des constructions, des murs érigés évoquent d'autres évènements de l'Histoire. On va de Space X à la visite des camps de concentration par la Croix Rouge, l'opéra de Therienstadt, de la Kabbale à Sinead O'Connor et à la mystérieuse oeuvre musicale de John Cage, « As slow as possible » extrêmement lente dont une seule est prolongée indéfiniment avant de passer à la suivante, j'ai eu l'occasion de voir un mini-reportage sur ARTE, je crois et cette note qui dure, je n'ai pas apprécié je l'avoue…
L'auteur parle souvent des migrations des oiseaux qui passent toujours dans ce couloir aérien, des frégates, des perdrix dont les noms ont été accolés à des engins de guerre : les drones perdrix, dont l'élaboration a été conçue en fonction des caractéristiques de vol des oiseaux… Et surtout, anonyme, tentant de passer inaperçu, parmi tous ces oiseaux, un dirigeable, en vol stationnaire ou du moins très lent pour tenter de passer inaperçu, rempli d'ordinateurs qui espionnent en permanence : ils pourraient même déchiffrer une plaque d'immatriculation…
On croise de nombreux autres protagonistes, tous ceux qui ont participé aux négociations de paix entre Israël et la Palestine, depuis les débuts de la création de l'État d'Israël, ceux qui ont participé à l'armement des deux camps…
Ce qui frappe, dans ce roman aux multiples entrées, c'est la capacité de résilience de Bassam et Rami qui racontent encore et encore leur drame devant des auditoires différents, ayant l'impression de répéter en boucle alors qu'en fait la narration est chaque fois différente en fonction des personnes qui écoutent.
J'ai aimé le fait que Bassam se passionne pour l'holocauste au point de rédiger un mémoire, ou encore l'anecdote des sculptures de Brancusi : « Oiseau dans l'espace » dont un exemplaire a été intercepté par les douaniers américains qui l'ont fait entrer dans la catégorie des « ustensiles de cuisine » …
J'ai adoré ce roman, car il est différent de tout ce que j'ai pu lire jusqu'à présent, la variation des thèmes abordés le processus de narration, les personnages… Tout, absolument tout. Il a 1001 portes d'entrée, autant de manières de l'interpréter car il est rempli de symboles.
La couverture est à l'image du récit, très belle : sur fond noir des milliers d'oiseaux dorés qui volent de concert, et perdus aux deux extrémités deux colombes blanches, Bassam et Rami, Palestine et Israël en paix…
Un grand merci à NetGalley et aux éditions Belfond qui m'ont permis de découvrir ce roman et la plume de l'auteur que j'ai très envie de retrouver avec par exemple «
Et que le vaste monde poursuive sa course folle »
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