AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de HordeDuContrevent


De la surenchère américaine au sein même de l'épure ? Une question d'angle de vue…

C'est sans doute le roman post-apocalyptique le plus gris, le plus sombre que je n'ai jamais lu. Il a des points communs avec « Malevil » de Robert Merle ou avec « Et toujours les forêts » de Sandrine Collette car la catastrophe, dans tous les cas, est un feu. Nous retrouvons la terrible solitude et les conditions de survie précaires et minimales du beau livre « le mur invisible » de Marlen Haushofer. La présence salvatrice d'un chien qui m'avait émue aux larmes dans « La constellation du chien » a été remplacée par celle d'un petit garçon. Comme « Dans la forêt » de Jean Hegland, la foret est refuge, lieu où se cacher, mais ici elle ne constitue pas un berceau, aucun enracinement dans le beau n'est permis. Alors, certes, le livre de Sandrine Colette est également très sombre, c'est vrai. Mais il est teinté d'un espoir grandissant. Il comporte quelques taches de couleur salvatrices. Il déroule avec davantage de nuances son histoire depuis le début de la catastrophe jusqu'à la fin…

Ici le livre est d'une noirceur absolue. L'homme est devenu un loup pour l'homme. Et l'histoire est centrée sur l'errance. Uniquement l'errance aboutissant à une fin que nous devinons dès le début. Une errance qui semble, à raison, interminable et absurde. Et une fin que certains pourraient qualifier de facile. C'est donc essentiellement un roman d'ambiance. Une ambiance oppressante, sans espoir, apocalyptique, avec presque cette sensation physique que l'auteur nous maintient fermement la tête pour bien nous y plonger dans tout cet amas gluant de gris, à nous en étouffer, à nous faire boire la tasse avec cette eau granuleuse remplie de cendres et de sang séché. Ad nauseeum. Il rajoute, comme on rajouterait du piment dans un plat, de bonnes grosses louches de glauque lorsque cela tourne un peu en rond, en l'occurrence surtout dans la première partie, histoire de faire frémir le lecteur, avec par moment des ficelles relativement grosses de prime abord…Je pense notamment à cette cave sordide ou encore à la scène du rôtissoire en plein air. Non, non, non…Ce sont des éléments de ressort tellement évidents. A l'américaine. Pour impressionner, faire « de l'audimat », marquer les esprits. Qu'apportent ces scènes terrifiantes ? Sont-elles l'aveu d'un manque de profondeur du scénario ? Telles furent mes questionnements durant une bonne partie de ma lecture. Mais, par ailleurs la relation entre le père et son petit m'a beaucoup touchée et l'écriture, il faut le reconnaitre, capte, charme et vous maintient en éveil malgré tout. Bref, j'ai fini le coeur au bord des lèvres, non sans avoir pesté durant toute la lecture, étrange rencontre…J'ai aimé d'un côté, pas aimé de l'autre…

« Quand il fit assez clair pour se servir des jumelles ils inspecta la vallée au-dessous. Les contours de toute chose s'estompant dans la pénombre. La cendre molle tournoyant au-dessus du macadam en tourbillons incontrôlés. Il examinait attentivement ce qu'il pouvait voir. Les tronçons de route là-bas entre les arbres morts. Cherchant n'importe quoi qui eût une couleur ».

Que s'est-il passé ? Feu nucléaire ? Explosion volcanique ? Météorite ayant percuté la Terre ? Guerre mondiale ? Nous ne savons pas, ce qui est certain c'est que L'apocalypse a eu lieu, la terre a été mise à feu et à sang. Nous sommes environ six ans après, le monde est désormais totalement dévasté, couvert de cendres et de cadavres desséchés. Un monde sans aucune couleur, même le sang est brun. le seul rouge vif provient d'une canette de Coca Cola trouvée de façon quasi providentielle. Parmi les très rares survivants, un père et son fils errent sur une route, poussant un caddie rempli d'objets hétéroclites. Dans la pluie, la neige et le froid, ils avancent vers les côtes du Sud, la peur au ventre : des hordes de sauvages cannibales terrorisent ce qui reste de l'humanité. Survivront-ils à leur voyage ? Verront-ils enfin la mer ? Sera-t-elle bleue ? Comment un enfant peut-il survivre à cela, comment dépasser le traumatisme d'une telle errance et de ses visions cauchemardesque ? Quel est le sens de rester en vie lorsqu'ils n'y a quasiment pas de survivants et que le monde est devenu tellement sauvage qu'on ne peut compter que sur soi ? L'apocalypse serait-elle plus facile au sud alors que le soleil est à présent derrière un voile opaque quel que soit l'endroit où nous nous trouvons ?

Nous ne savons pas grand-chose sur ce père et son fils sur leur vie d'avant l'errance. Ils n'ont pas de prénom et les dialogues sont très courts. Nous devinons que le petit n'a jamais connu le monde d'avant l'apocalypse étant né alors que tout était déjà fini. Nous apprenons que la mère a choisi le suicide. Autant j'ai trouvé de la surenchère dans la première partie du livre afin d'éviter de nous ennuyer, autant l'épure choisie des personnages apporte beaucoup de charme au récit et m'a beaucoup touchée.

L'avantage d'une lecture commune, car nous l'avons lu à plusieurs et nos avis sont d'ailleurs assez divergents, c'est de nous permettre de prendre du recul via les échanges. de s'apercevoir qu'il y a différents angles de vue. Alors que je faisais part à mes comparses de mon dégout à propos de certaines scènes, j'ai pu reconsidérer ma position notamment grâce à @Yaena qui a beaucoup aimé ce livre…J'ai appréhendé la fameuse scène de la cave mentionnée précédemment comme étant une scène racoleuse de torture totalement inutile ayant pour objectif de rajouter du noir au gris, du glauque à l'horreur. Cette scène peut en réalité être perçue comme une scène mettant en valeur la chute d'un tabou à l'aune de la fin de l'humanité. Celle du cannibalisme. C'est une réflexion sur la fin de ce qui fonde notre humanité. le fait que le père et ce fils ne soient pas devenus cannibales mais qu'au contraire ils continuent à « porter le feu » est le signe que tous deux ne sont pas encore tombés de l'autre côté et qu'il reste un espoir, celui contenu dans ce petit être qui voudrait aider, rassurer, trouver des « gentils », s'inquiétant des déviances de son père qui ne fait que les défendre des autres devenus dangereux…Voilà une question d'angle de vue. C'est suffisamment passionnant pour être souligné même si l'impression de départ ne parvient pas totalement à se dissiper…Ma réaction n'est-elle pas instinctive, celle du rejet d'une part sombre possible de nous lorsqu'il n'y a plus d'espoir et que nous ne sommes plus des êtres humains ? Que ferions-nous, de notre côté, dans les mêmes conditions ultimes de survie ? Et finalement je crois que c'est l'enfant qui permet au père de ne pas sombrer. Ce petit garçon a même un côté christique au fur et à mesure de l'avancée du récit, il est celui qui peut, qui va sauver l'humanité. Au-delà du simple racolage ressenti au départ, j'ai pu finalement appréhender la philosophie, et surtout le côté quasi religieux, de ce texte.

La plume, je dois le reconnaitre également, m'a charmée. C'est une plume singulière, simple, directe, avec peu de virgules, sertissant le récit d'une certaine poésie, une poésie rythmée, en boucle. Les scènes au bord de mer sont d'une beauté de fin du monde qui restera longtemps gravée en moi.

« Là-bas c'était la plage grise avec les lents rouleaux des vagues mornes couleur de plomb et leur lointaine rumeur. Telle la désolation d'une mer extraterrestre se brisant sur les grèves d'un monde inconnu. Là-bas dans la zone des estrans un pétrolier à moitié couché sur le côté. Au-delà l'océan vaste et froid et si lourd dans ses mouvements comme une cuve de mâchefer lentement ballottée et plus loin le front froid de cendre grise. Il regardait le petit. Il voyait la déception sur son visage. Je te demande pardon, elle n'est pas bleue, dit-il. Tant pis, dit le petit.
Une heure plus tard ils étaient assis sur la plage et contemplaient le mur de brouillard qui barrait l'horizon. Les talons plantés dans le sable ils regardaient la mer couleur d'encre qui venait mourir à leurs pieds. Froide, désolée. Sans oiseaux. Il avait laissé le caddie dans les fougères de l'autre côté des dunes et ils avaient emporté avec eux les couvertures et enveloppés dedans ils s'abritaient du vent contre un énorme tronc de bois flotté ».

Au final, je ressors mitigée par cette lecture, d'un côté charmée par la plume épurée singulièrement poétique, très émue également par la relation entre le père et son fils dont la brièveté des échanges fait émerger quelque chose d'essentiel et de pur, plus circonspecte cependant devant l'horreur de certaines scènes que j'ai prise dans un premier temps pour une forme de racolage, au final cette horreur est plus profonde en termes symboliques qu'elle ne parait de prime abord, et devant le scénario dont la fin est devinée dès le départ et qui n'est centrée que sur l'errance apocalyptique sur la route.
Plusieurs jours après, il me reste surtout en tête cet oppressant camaïeu de gris et, au milieu de ces nuances moribondes, cette cannette rouge vif de soda, totalement hypnotique, faisant saliver même son lecteur. Alors, je me demande…Ce livre ne serait-il pas juste, simplement, une magnifique publicité ?


Commenter  J’apprécie          91117



Ont apprécié cette critique (87)voir plus




{* *}