Assurément,
Jon McGregor est un représentant majeur de la littérature anglaise contemporaine. de ses quatre romans, tous primés, trois furent nominés pour le Booker (l'équivalent anglais du Goncourt).
Son ouvrage
Même les chiens a reçu l'International Dublin Literary Award, le prix littéraire anglophone le plus doté. Quant à
Réservoir 13, il est lauréat du prix
Costa.
Au futur lecteur de
Réservoir 13, la première chose à signaler sans doute - pour dissiper tout malentendu - est qu'il ne s'agit pas d'un roman policier. S'il ouvre sur la disparition d'une jeune fille, sur des gyrophares et des cordons de police, des recherches organisées dans les landes du Derbyshire et un survol d'hélicoptère dans le soir, là n'est pas du tout le sujet.
Pour la forme, il est difficile de comparer l'oeuvre à quoi que ce soit de connu. Si l'on veut en donner une idée approchante, le mieux serait peut-être de la décrire comme le « time-lapse » d'un village de la campagne anglaise, sur une durée de treize ans. le point de vue, distancié, évoque ces séquences filmées en accéléré dans lesquelles, le temps d'une poignée de secondes, une plante croît, fleurit et meurt ; les nuages courent le paysage ; le visage d'un nourrisson se métamorphose en enfant puis aussitôt en adulte. Immobile et lointaine, comme un téléobjectif fixé sur une colline, l'optique du narrateur annule toute perspective, toute vision périphérique, toute notion de contexte. Qu'un ailleurs au petit village existe, on le sait car les gens en parlent, ils y vont puis en reviennent. Mais au-delà des limites de la commune, après l'autoroute, de l'autre côté du dernier barrage-réservoir, on ne discerne plus rien.
A la manière des reportages sur National Geographic, les quatre saisons se succèdent à la hâte, illustrées par des instantanés de la flore et la faune, parmi laquelle l'espèce humaine. La vie recommence et recommence, circulaire, scandée par les feux d'artifice du Nouvel An, les festivités des moissons et de l'habillage des puits, les brûlots de la nuit de Guy Fawkes. Les avrils sont toujours secs et les novembres pluvieux. Mais entre les périodes de reproduction des renards, les risées sur les lacs de barrage, la vie grouillante des insectes sous les feuilles, d'un an sur l'autre s'insère un autre temps : celui des interactions entre les êtres humains, temps linéaire car ces êtres grandissent, vieillissent et prévoient. Comme ces instants fugitifs sont saisis au vol, à de larges intervalles, leur causalité se perd quelque peu.
C'est dans ce cadre narratif que la disparition de Becky, au tout début du roman, s'avère un coup de maître. On pourrait s'attendre dans un roman social à ce qu'elle pèse sur les esprits du village, donne aux actions un sens et un cours différents. Ici, ce n'est pas son rôle. L'absence de la jeune fille impulse la lecture par son mystère, insuffle une attention inaccoutumée aux détails de l'ordinaire. Cette note tenue, discordante tel le bourdon d'une cornemuse, détonne dans la mélodie routinière de la « country life » ; elle lui rend de la profondeur.
Dans l'original anglais, le style est austère et factuel, les phrases courtes et simples, les tournures parfois influencées du parler campagnard. La traduction française choisit de rendre les prétérits par des passés composés, accentuant le détachement du point de vue. Malgré quelques anglicismes et transparences à la syntaxe anglaise, elle restitue le tempo lancinant des paragraphes où, comme dans la poésie bucolique de
Virgile, l'humain et les règnes de la nature se mêlent pour finir par se confondre, au rythme lent du passage inexorable des ans.