Les Haut-Conteurs, tome 2 : Roi Vampire

- Mathilde... Tant que nous pouvons parler un peu plus haut, je voulais te dire... Je t'ai suivi par solidarité, et parce que je suis très inquiet du sort de Maître William. Cela étant, je n'approuve pas notre action. Pourquoi ne pas venir questionner Pontargis en plein jour?
- Je suis, moi, plus encore que très inquiète, Roland. A l'époque où il accomplissait maintes missions pour l'Ordre, le Ténébreux est toujours parvenu à nous contacter.
- Je veux bien te croire...
- Depuis notre arrivée, j'ai la désagréable certitude qu'on nous mène par le bout du nez !

Il ma semblé percevoir des choses sombres et étranges, dans votre paume...J'crois que parfois, il vaut mieux ne pas chercher à savoir l'avenir.

- Impossible...Impossible...Cela ne peut pas finir ainsi...Je suis immortel...murmura le Roi Vampire dans un souffle à peine audible.

-Nous voici seuls, Cœur de Lion.Tels que le Livre le prédisait. L’avènement de ce duel fut annoncé il y a bien des siècles, et aucun de nous ne sait quelle magie put accomplir un tel prodige. Pourtant l'issue de notre combat ne figure pas dans la prophétie. Alors, sache que je vais arracher ton cœur et le déposer, chaud et palpitant, sur ton visage...

Roland compris que le souper n’aurait pas l’occasion de se voir finissant, contrairement à ce que suggérait le message de William. Qu’à cela ne tienne. Il ferait contre ventre vide bon cœur. L’urgence de la situation valait bien le sacrifice (provisoire, il l’espérait) d’un bol de soupe chaude.

Sans plus réfléchir, Roland lança son épée à la façon d'un couteau, droit devant, visant les jambes. La lourde lame siffla, tournoya...et atterrit directement dans les mollets du mercenaire qui s'étala de tout son long.

- Eh bien, Roland Gobe-mouches ? Ne crains-tu pas de prendre froid, à la longue ?
Il tourna la tête et découvrit le large sourire de Mathilde la Patiente. Comme souvent, elle l'avait surpris par son arrivée silencieuse.

Le garçon se sentait suffoqué par l'immonde parfum qui se dégageait de l'agglomérat grouillant. Il distinguait le détail des abdomens luisants, des longues pattes velues qui s’entremêlaient sans cesse. A cette distance le froissement d'étoffe devenait presque assourdissant, prêt à submerger le monde. Saturé de dégoût, serrant les mâchoires jusqu'à ce qu'elles fussent douloureuses, il hurla à son tour et amena violemment sa torche contre la porte.

La mémoire collective finirait par rester seule dépositaire du récit de ces événements abominables, entre faits avérés et déformation.

Pour la seconde fois a quelques heures d'intervalle, Roland venait de tuer. Il eut un sursaut, et les larmes se mirent a couler le long de ses joues. Porter l'habit pourpre n'impliquait pas seulement de raconter de belles histoires, mais aussi d'en vivre certaines au caractere immonde. Il le savait desormais. Prendre la vie d'un homme... Meme si celui-là etait un assassin de la pire espece, les mots conservaient leur signification horrible. Roland se mit a trembler comme une feuille, dans l'incapacité de retenir ses sanglots. L'Insondable observait la scene. Il s'approcha et prit Roland dans ses bras, cherchant a apaiser la peine de son compagnon. Le jeune Conteur finit par relever la tete, et decouvrit le sourire melancolique de Salim, qui semblait lui dire 'Je sais ce que tu eprouves... Calme-toi'.