Eva dort…Elle a dormi, mais pas moi - j'ai même beaucoup appris.
D'abord , l'histoire ethno-linguistique du Haut –Adige, depuis la première guerre où il quitta le giron de l'Autriche, son Heimat, en passant par l'italianisation forcée, à grands coups de saton fasciste, sous Mussolini, puis par son intégration insidieuse et aliénante dans la nouvelle république italienne… qui remit le feu aux poudres, jusqu'au « Kompromis » intelligemment mis en place par Silvio Magnago, leader politique du Sud-Tyrol, et
Aldo Moro qui surent reconnaître la spécificité linguistique et culturelle du Haut-Adige tout en lui faisant partager l' italianité qui le liait aux autres régions de la Botte…
J'ai aussi fait une bonne révision géographique car cette fresque historique se déploie dans le temps en même temps que l'héroïne, Eva, se déplace dans l'espace, en train, du Nord au Sud de l'Italie et accomplit tout un périple destiné à retrouver in extremis celui qui fut son père de coeur : les chapitres sont autant d'étapes kilométriques et le paysage italien défile par les fenêtres (sauf quand un tunnel empêche le déploiement du regard et du prospectus touristique)…
J'ai aussi appris une foultitude de mots allemands, un peu de ladino, quelques expressions tirées des dialectes calabrais ou sicilien.
Et je crois que je saurais préparer sans problème, des Wiener schnitzel ou la petite salade au pourpier et au foie de volaille inventée par Gerda…
Mais les personnages, fades et peu consistants, et la trame romanesque trop vaste et sporadique, noyée par l'approche historique, ont souffert de cette volonté didactique et exhaustive -
Francesca Melandri est documentaliste.
J'ajoute que «
Eva dort » est un premier roman. Il en a les défauts et qualités : rien n'est laissé au hasard, le récit est extrêmement construit, très bien documenté, il est écrit dans une langue fluide, classique, sobre- mais sans grand caractère. Un peu comme les personnages : on ne fait pas deux héroïnes, de la mère et de la fille, en se contentant de les déclarer belles, désirables et libres…C'est un peu court…Les personnages masculins sont encore plus esquissés et réduits à un trait : le cousin Ulli est l'homosexuel malheureux et humilié, Hermann, le grand' père tyrannique et fasciste, Vito, le carabinier protecteur et altruiste…
J'aurais préféré que
Francesca Melandri ne creuse qu'un sillon : la vie de Gerda dans son grand hôtel méritait à elle seule tout un livre, tandis que se développent les premières stations de ski et que s'émancipe, lentement, douloureusement l'autonomie de la femme, entre grossesse non désirée, abandon d'enfant ou opprobre public, travail chichement rémunéré et compétences difficilement reconnues, salaires rognés et congés volés – le syndicalisme est encore un très vilain mot !
Ou alors il fallait raconter le seul parcours tragique et violent de Hermann, l'homme au regard farouche auquel les mots font défaut. Mais Eva qui est le « fil rouge » de cette grande saga est malheureusement la plus inintéressante de tous…
J'ai été plus passionnée par l'Histoire que touchée par l'histoire…et je me suis même un peu ennuyée quand les péripéties romanesques tentaient de reprendre pied sur la toile de fond historique si prégnante- et intéressante !
A mon grand regret, je ne mets donc que trois étoiles à ce livre ambitieux, bien documenté et assez bien écrit, mais qui ne m'a ni attachée, ni bouleversée.
Qui trop embrasse…