Les jours suivants, Cayanne apprend que le journalisme n’est pas très différent du monde des feuilletons télévisés. Tout ce dont les journalistes ont besoin c’est d’une bonne histoire, un fruit juteux à presser jusqu’à la pulpe.
Cela ne sert à rien de dire “non” au maigrichon qui se propose de nettoyer le pare-brise de sa voiture avec un chiffon sale. La solution, c’est d’utiliser sa technique de l’évitement : mettre en marche les essuie-glaces.
Elle a horreur de penser qu’elle est en train de transformer son temps libre en temps d’attente.
Parfois, la beauté de cette femme-là, qui papillonne autour de lui, a le même effet qu’un gaz paralysant. Comme si sa beauté était une espèce de flèche pointant sa propre laideur. Elle est radieuse. Lui, transparent. Elle illumine. Lui, il est éteint. C’est toute la chimie entre eux : eau et huile. Il sait : des femmes comme elles ne sont pas faites pour des hommes comme lui. Et à présent elle, qui bouge avec la grâce d’un cygne, lui demande d’ignorer toute son insignifiance physique, toute sa maladresse, et de bouger ses jambes maigres de chien bâtard ?
Elle a ses moyens pour obtenir la vérité. La pratique a montré que celui qui dit la vérité dans un entretien trivial éprouve des difficultés à mentir quand le sujet devient sérieux. Pour cette raison, elle a l’habitude de commencer les entretiens par des questions banales, personnelles, hobbies, équipe de football et autres bêtises ; parfois elle dépasse les bornes et devient flatteuse. C’est ainsi – contre son tempérament – qu’elle gagne l’empathie des criminels. Dans ce cas-là, cependant, c’est différent.
L’argent est l’unique satisfaction que l’abattage des poulets peut lui offrir. Son talent consiste à savoir mettre en place des petits ajustements dans le processus de production qui garantissent une grande efficacité. C’est pour ça qu’à présent il chronomètre discrètement le travail des employés.
Elle est habituée à porter une attention particulière aux mains. D’après elle, c’est par les mains qu’on connaît un homme, même mort. Les mains de l’acteur semblent celles d’un étudiant en philosophie. Translucides. Homme faible, pense-t-elle.
Elle méprise les personnes nostalgiques, qui vieillissent en regardant en arrière, mais chaque fois elle se sent plus nostalgique de l’époque où Fábbio était un enfant, de la sensation consolatrice de savoir que son fils était dans la chambre d’à côté, des samedis matin où ils s’asseyaient ensemble au piano et chantaient des chansons des Beatles, ou quand elle l’emmenait en bus pour les castings de sélection des acteurs pour les publicités télévisées.
Elle ne se souvient pas du poète. Ni des vers, seulement de sa dureté : quelqu’un disant qu’il ne va pas donner trop d’importance à la mort, en la craignant, en la pleurant ou en l’attendant. Tout ce que vous aurez est mon corps, dit le poète à la mort. Elle avait décidé de vivre la fin de son mariage de la même manière. Elle ne demanderait pas d’explications, n’essaierait pas de comprendre quoi que ce soit, maintenant qu’elle avait appris la plus dure leçon sur les mariages : qu’ils n’ont pas de sens.
Elle préfère croire qu’elles ne comprennent pas, ce qui n’est pas plus mal. Comprendre ne servirait pas à grand-chose.