Mon coup de coeur de l'année 2017, lu in extremis dans les derniers jours de décembre. Emballé, j'ai dévoré
Karpathia d'une traite, en deux jours seulement ! C'est pour vous dire à quel point j'ai adoré ! Pourtant, autant
Karpathia que son auteur
Mathias Menegoz ne m'étaient connus (à part qu'ils aient fait sensation en 2014). de la quatrième de couverture, je n'avais retenu que ce qui m'intéressait : 1833 (donc 19e siècle), des aristocrates, la Transylvanie, un terroir de légendes, un poudrière (donc des conflits ?). Pour l'ambiance, difficile de faire mieux. Mais, malgré ce marketing intéressant, que s'y passe-t-il ? Un autre livre à ajouter à ma longue liste de livres à lire. Mais le bouquin m'attirait étrangement, m'appelait régulièrement mais mes visites à la librairie débouchaient sur autre chose. Puis, je me suis décidé. Et quelle excellente décision !
L'action est un peu lente à décoller mais ce n'est pas grave. Chaque détail sert à situer les lieux, les personnages, en particulier le comte Alexander Korvanyi et l'élue de son coeur Charlotte-Amélie von Amprecht (Cara, pour les intimes). Je dois admettre avoir été impressionné par le talent de
Mathias Menegoz, pourtant à son premier roman. Il semble attacher un grand souci à décrire avec précision et fluidité la vie à cette époque, allant du fonctionnement d'une garnison de province au menu dans un café viennois en passant par la décoration dans un château autrichien (tableaux, porcelaine Biedermier, etc.). L'idée du duel entre Alexander Korvanyi et un autre officier est une autre idée intéressante. Elle sert à démontrer le caractère résolu du comte. D'abord, je la trouvais un peu longue (mais quand arrivera-t-on en Transylvanie ?) mais je me suis retrouvé à en apprécier chaque moment.
Puis, après environ 75 pages, tout décolle : mariage et préparatifs pour le départ. Les nouveaux partent prendre possession du domaine ancestral, la Korvanya, quelque part au fin fond de la Transylvanie (alors partie intégrante de la Hongrie). À partir de ce moment, le talent de
Mathias Menegoz se fait sentir véritablement. Chaque élément de description, ne serait-ce qu'une vague rumeur, le déchainement de la nature (les rivières qui débordent et inondent puis le brouillard) ou l'historique mouvementé de la région, permet d'établir cette atmosphère inquiétante. Et à la maintenir ainsi tout au long du roman.
Le climat d'incertitude et de tension qui règne sur la Korvanyi ne quitte pas le lecteur un moment. L'intendant Lajos Lanffy semble cacher quelque chose, le vieux château noir avec sa crypte maudite effraie les domestiques, on se rappelle les révoltes de 1784 qui avaient fait fuir les maitres d'alors. Sans oublier les dissensions entre les serfs hongrois, saxons et valaques (roumains). Même des Tziganes font leur apparition. Sans oublier ces Russes tout proches qui laissent passer les contrebandiers, de vrais bandits. Tous les éléments sont parfaits pour évoquer le mystère et des peurs fantasmagoriques. Sauf pour le comte, qui a grandi en Autriche, loin des superstitions auxquelles il ne prête pas foi… jusqu'à ce qu'un loup fasse des ravages, puis que deux enfants soient enlevés et même qu'une jeune fille soit violentée. Elle parle d'une ombre qui s'est prise à elle avant de se volatiliser. Il n'en faut pas plus pour que les villageois se mettent à évoquer de vieilles légendes, des histoires de vampires…
Par moments, je trouvais Alexander et Cara arrogants et belliqueux, voire antipathiques (surtout pour notre sensibilité moderne) mais, en considérant le contexte historique, ils constituent sans doute un portrait honnête de l'aristocratie de l'époque, défendant corps et âme leurs droits. Peut-être une narration à la première personne les aurait mieux servis ? Dans tous les cas, ils ont bien ‘'joué leur rôle''. Pareillement pour la galerie de personnages qui les entoure. Plus haut, j'ai mentionné l'intendant Lanffy, mais il ne faut pas oublier son fils illégitime aussi prénommé Lajos, les domestiques Heinke, Paulus et Reinhold, le pope valaque, le docteur Ferenc Hodor, les seigneurs voisins Szenthély et Szatvar, le commandant Gestenyi, les contrebandiers et plusieurs autres, je ne peux tous les nommer. Chacun apporte sa contribution spéciale.
Rendu à ce point, j'étais littérallement scotché au roman. La deuxième partie s'éloigne un peu de l'aventure et du fantastique pour se tourner un peu plus vers l'action. C'est très viscéral. Et c'est correct, d'autant que
Mathias Menegoz y excelle autant. le suspense et les retournements de situations sont nombreux, mais jamais au profit de cette ambiance sinistre et inquiétante. La tension règne jusqu'à la grande finale, l'apothéose, la Jagdfest, cette fameuse chasse pour déloger le mal. Jusqu'à maintenant, j'ai beaucoup vanté le réalisme du roman (les descriptions généreuses ne gênent pas quand on adore le sujet !), mais avec chaque page un certain romantisme s'en dégage. du grand art ! Malgré ses 526 pages (dans le format de poche), je recommande vivement
Karpathia aux amateurs du genre.
Sur une toute autre note, ce roman me fait penser un peu au film le pacte des loups, sorti en 2001, que j'avais beaucoup apprécié. Moins d'un siècle plus tôt, alors que la bête du Gévaudan fait des ravages dans le sud de la France, des grandes battues organisées alors que d'autres prient pour que le Seigneur les délivre de cette créature surnaturelle. Finalement, la menace se révéla toute autre que celle imaginée…