Arithmétique de la Chair

Elle s'est brûlé les ailes au soleil trompeur de la vanité.

- Il faut que tu te le sorte de la tête, Bettina. Il ne veut plus, il ne veut plus.
- Je sais mieux que lui et toi ce qui est bien pour lui.
- Arrête! Même s'il se trompe, c'est son droit! Il a le droit d'être con.

Son expérience mathématique lui souffle qu'il n'existe pas de problème insoluble, pas d'adéquation folle, rebelle à la logique. Il suffit de poser la question convenablement, et une réponse inévitable se dégage, au prix d'une réflexion opiniâtre, assurée du succès.

Je mène ma vie, c'est tout, et je ne m'occupe pas de mon corps. Il se débrouille seul

... or, les nombres n'ont pas de chair, ils sont libres, circulent en apesanteur, volent autour du cerveau des hommes comme des papillons légers ballottés par une brise changeante, insaisissables et narquois. Ils n'ont pas de matière. Ils n'ont pas de corps. Dès qu'ils prennent une consistance, ils s'avilissent, deviennent des coupures de banque, des monnaies, des pièces d'or, des numéros de footballeurs, des poids sur une balance, des étiquettes de prix dans une vitrine, des places dans un marathon, des billets de lotos, des codes de crédits. Ils sont alors muselés par les besoins pratiques, amarrés les uns aux autres en chaînes comme les bateaux de pêche dans un port. Ils deviennent prisonniers. La beauté des chiffre est bafouée, ternie. Leur poésie s'évapore parce que leur matérialité s'acoquine au profit. De concept, ils deviennent produit, arme, chose, servent à diviser les hommes en catégories, en classes, en segments de marketing. Tu vaux tant, je vaux tant. On est un âge, un poids, une fortune, un salaire, un taux de globules rouges, un matricule, un numéro de sécurité sociale. Les chiffres, alors, nous dominent, nous encerclent et parfois nous étouffent.

Je vous appelle demain. Bravo, vous avez été à la hauteur, bravo. Ne maigrissez pas trop!

De retour dans son appartement, en se déshabillant, elle songe que son physique a joué un rôle dans cette chance, et, de nouveau elle s'attarde sur le sens de ce grossissement. Il y en a un, c'est indéniable maintenant. Si elle n'avait pas endossé cette djellaba et frappé les journaliste par sa corpulence, ils ne l'auraient pas retenue.