N’apprends qu’avec réserve. Toute une vie ne suffit pas pour désapprendre ce que, naïf, soumis, tu t’es laissé mettre dans la tête – innocent ! – sans songer aux conséquences.
"Une chose indispensable : avoir de la place. Sans la place, pas de bienveillance. Pas de tolérance, pas de… et pas de…
Quand la place manque, un seul sentiment, bien connu, et l’exaspération, qui en est l’insuffisante issue.
Avec plus d’espace, tu peux avoir plus de sentiments, plus variés. Pourquoi dans ce cas t’en priver ?"
Dans une époque d'agités, garde ton "andante". En toi-même redis-toi toujours : "Davantage, davantage d'andante", tâchant de t'amener où il faut que tu arrives. Sinon, précipité, tout devient superficiel. Les indignés du moment n'y échappent guère, pressés comme ils sont, afin de n'être jamais en retard d'une indignation. Leurs voix aussi ont trop d'aigu.
Etant multiple, compliqué, complexe, et d'ailleurs fuyant - si tu te montres simple, tu seras un tricheur, un menteur.
Tu l'es. Fais au moins quelquefois un effort de sincérité au lieu de te dissimuler dans le courant de l'époque ou dans un de ces groupes où par amitié, naïveté ou espérance on s'unifie.
Certains restent en vie seulement par timidité. L'effort nécessaire pour mettre fin au souffle, au sempiternel battement du coeur, à tout ce qui en soi persiste à durer serait si grand, et si péremptoire la décision qu'elle serait comme venue d'un autre, d'un de ceux-là mêmes précisément faits pour la vie et ses entreprises et pour y demeurer le plus longtemps possible. Ce serait in extremis changer de personnalité, la détruire et soi en plus.
Si affaissé, brimé, si fini que tu sois, demande-toi régulièrement - et irrégulièrement - "Qu'est-ce qu'aujourd'hui encore je peux risquer?"
Suicide en satellite.
Celui qui repassera sur cette orbite entendra d'étranges sons : sur des millions de kilomètres d'espace sans personne, un cosmonaute fantôme, sa préoccupation inapaisée, frappe perpétuellement un dernier message qu'on ne s'explique pas.
Seigneur tigre, c'est un coup de trompette en tout son être quand il aperçoit la proie, c'est un sport, une chasse, une aventure, une escalade, un destin, une libération, un feu, une lumière.
Cravaché par la faim, il saute.
Qui ose comparer ses secondes à celles-là ?
Qui en toute sa vie eut seulement dix secondes tigre ?
Non, non, pas acquérir. Voyager pour t’appauvrir. Voilà ce dont tu as besoin.
Si tu traces une route, attention, tu auras du mal à revenir à l’étendue.
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Il faut un obstacle nouveau pour un savoir nouveau. Veille périodiquement à te susciter des obstacles, obstacles pour lesquels tu vas devoir trouver une parade… et une nouvelle intelligence.
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L’homme qui sait se reposer, le cou sur une ficelle tendue, n’aura que faire des enseignements d’un philosophe qui a besoin d’un lit.
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La pensée avant d’être œuvre est trajet.
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N’aie pas honte de devoir passer par des lieux fâcheux, indignes, apparemment pas faits pour toi. Celui qui pour garder sa « noblesse » les évitera, son savoir aura toujours l’air d’être resté à mi-distance.
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Dans une époque d’agités, garde ton « andante ». En toi-même redis-toi toujours : « Davantage, davantage d’andante », tâchant de t’amener où il faut que tu arrives. Sinon, précipité, tout devient superficiel. Les indignés du moment n’y échappent guère, pressés comme ils sont, afin de n’être jamais en retard d’une indignation. Leurs voix aussi ont trop d’aigu.
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Communiquer ? Toi aussi tu voudrais communiquer ? Communiquer quoi ? tes remblais ? – la même erreur toujours. Vos remblais les uns les autres ?
Tu n’es pas encore assez intime avec toi, malheureux, pour avoir à communiquer.
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Si tu arrives à dormir, c’est que le spectacle, la présence du réel tu en as assez, tu n’en peux plus.
[...] En effet le lendemain tu te réveilles avec à peu près les mêmes sottises que la veille, quand pourtant tu n’en pouvais plus de tenir ensemble les pièces, structures ou débris, toutes ces illusions en forme de réalité, que tu reprends maintenant grosso modo et pas fâché de les retrouver pour faire face à ce qui va se présenter.
Mais ne serait-ce pas que chaque soir tu voudrais plutôt seulement t’éloigner, t’éloigner en voguant de l’insatisfaisant monotone qui persiste à se présenter ? Ce serait là ton désir.
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« Cinq notes suffisent, est-il dit d’une musique, pour détacher l’âme du corps. » Un sage arabe parlait ainsi d’une mélodie, primitive assurément, peut-être d’une flûte de berger entendue dans la campagne.
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Les oiseaux, eux, la plupart, utilisent leur pouvoir de sonorisation avec sobriété, bref appel ou courte délivrance, pour la fuite à quoi ils restent tout prêts. Signaux sans insister, décochés dans la savane ou la clairière. Signaux pour une petite place dans le ciel.
Les rapaces généralement ne s’attardent pas à la musique.