...sans doute épuisa-t-il sa vie en recherches de bouts de ficelles à lier en place de ce chaînon manquant ; et peut-être fut-ce aussi pour combler ce vide-là que l'alcool entra dans son corps et sa vie - avec la place qu'on sait, celle de la plénitude toujours empruntée et toujours évanouie...
... l'informe gêne à laquelle le trop grand âge ne peut plus même accorder l'ultime coquetterie de passer pour propre.
Allons, lire était bon, tant d'heures de détresse assidue valaient d'être vécues pour cet instant là.
... le soir de fin d'été courait sur les rails éclatants, les trains brûlants rutilaient. J'hésitais vaguement entre plusieurs destinations ; un sort farceur ou blasé jeta les dés, je montais dans un wagon, les aiguillages firent le reste ...
Une fois, je vis un lilas en fleur par la fenêtre, et c'était le printemps.
Donc il l'enterra, le regretta et s'en débarrassa.
Je découvrais les livres, où l’on peut s’ensevelir aussi bien que sous les jupes triomphales du ciel. J’apprenais que le ciel et les livres font mal et séduisent.
Qu’est-ce donc que quelques années encore de vie, quand on est riche de tant de pertes ?
Il lui restait sa faux, le luxe débridé de sa cuisine, le puits, l'horizon invariable.
Dufourneau avait sans doute été d'autant plus impitoyable envers les humbles qu'il se défendait de reconnaître en eux l'image de ce qu'il n'avait jamais cessé d'être ; ces travaux de nègres s'enfouissant avec la graine et peinant avec la sève vers le fruit, ces bottes de boue que le soc vous verse, cet air inquiet quand vient l'orage ou l'homme en cravate, tout cela avait été son lot, et il l'avait aimé peut-être comme on aime ce qu'on connaît ; cette incertitude d'un langage mutilé qui ne sert qu'à dénier les accusations et parer les coups, avait été sienne ; pour fuir ces travaux qu'il aimait et ce langage qui l'humiliait, il était venu de si loin ; pour nier avoir jamais aimé ou craint ce que ces nègres aimaient et craignaient, il abattait la chicotte sur leurs dos, l'injure à leurs oreilles ; et les nègres, soucieux de rétablir la balance des destins, lui arrachèrent une ultime terreur équivalant leurs mille effrois, lui firent une dernière plaie valant pour toutes leurs plaies et, éteignant à jamais ce regard horrifié dans l'instant qu'il s'avouait enfin semblable aux leurs, le tuèrent.
Parmi les palabres patoises, une voix s'anoblit, se pose un ton plus haut, s'efforce en des sonorités plus riches d'épouser la langue aux plus riches mots. L'enfant écoute, répète craintivement d'abord, puis avec complaisance. Il ne sait pas encore qu'à ceux de sa classe ou de son espèce, nés plus près de la terre et plus prompts à y basculer derechef, la Belle Langue ne donne pas la grandeur mais la nostalgie et le désir de la grandeur. Il cesse d'appartenir à l'instant, le sel des heures se dilue, et dans l'agonie du passé qui toujours commence, l'avenir se lève et aussitôt se met à courir.