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EAN : 9782378561673
160 pages
Verdier (23/03/2023)
3.74/5   120 notes
Résumé :
Les deux Beune est le roman que forment La Grande Beune, paru chez Verdier en 1996 dans une première version, et La Petite Beune, inédite.
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Critiques, Analyses et Avis (21) Voir plus Ajouter une critique
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Des vies minuscules sous le prisme magnifique des lunettes métaphoriques et puissamment érotiques de Pierre Michon, des lunettes au charme désuet, certes, aux reflets cependant un tantinet réactionnaires, archaïquement virils, à la monture donc quelque peu lourde portée trop longtemps…La fin suffisamment ébranlante heureusement pour les faire valser, ces lunettes…

J'aime ces plumes surannées, qui parlent avec une certaine poésie des territoires reculées de la France, de la ruralité. L'auteur qui excelle en la matière est pour moi Pierre Bergounioux que j'ai découvert avec Miette et Catherine. C'est une plume exigeante, ciselée, travaillée. Une plume qui demande de la concentration, un face à face entre le texte et son lecteur quasi amoureux, patient et attentif. Un peu d'inattention et seule une lueur de soupirail luira dans les cerveaux embrumés. Un talent d'orfèvre pour façonner et sertir la bassesse humaine, la dépression, les états de décrépitude, l'hypocrisie, la solitude, le dégout de soi. le phrasé est tout en circonvolutions, en détours, en détails et précisions toutes proustiennes pour tenter de capter le temps, essayer de l'approcher, de saisir sa relativité, fugacité et éternité, ainsi que ses cycles.

Pierre Michon se situe dans la même veine quant à l'écriture ciselée. Les deux Beune est un court livre composé de deux textes écrits à plus de vingt-cinq d'intervalle, et dont la première partie a déjà été publiée en 1996. La couture entre les deux parties, La Grande Beune et sa petite soeur dernière née, La Petite Beune est très discrète, quasiment invisible.
La Beune est une rivière qui coule au coeur d'un village du Périgord, territoire des grottes préhistoriques, dont la célèbre grotte de Lascaux. Dans ce village, le narrateur est un tout jeune instituteur de vingt ans, il vient d'être nommé dans l'école du village et vient d'arriver. Il fait petit à petit la connaissance d'une poignées d'âmes, petites gens tour à tour sublimes et ridicules : il y a Hélène, femme âgée qui tient l'auberge dans laquelle notre instituteur loge et où les hommes se retrouvent pour parler chasse, pêche, pour boire du calvados et manger de la charcuterie ; il y a Mado, la petite copine qui vient avec sa Dauphine certains jours lui rendre visite, cette voiture emblématique leur servant de lieu exiguë pour leurs tristes et rapides ébats ; il y a Jeanjean, exploitant du coin dont la grange abrite l'entrée d'une caverne peut-être préhistorique ; il y a Jean le pêcheur, fils d'Hélène, dont la passion est de traquer sans cesse les poissons dans la Beune ; et surtout la charismatique Yvonne, la buraliste, femme plantureuse et callipyge qui obsède le narrateur, fantasmant de pouvoir la posséder, au point de ne penser qu'à elle, d'aller chaque jour au bureau de tabac et de l'attendre sur les chemins sylvestres. le narrateur est tellement mû par son désir, par ses fantasmes que son regard n'est que sensualité et sculpte un paysage entièrement saturé de signes érotiques, comme un long poème d'amour. Ces descriptions sont sublimes, de véritables moments de grâce, d'une sensualité à couper le souffle qui laissent entrevoir la part animale frémissant sous la part civilisée. Souvent le narrateur « enfile le pont » pour se retrouver sur « l'autre lèvre » de la berge.

« Je revois ce brouillard. Je revois ce fourreau que tissaient les eaux perfides et tricoteuses de la Beune, et qui le long de la falaise montait gainer les peupliers, l'auberge, l'église. le monde avait mis ses dentelles pour que je les froisse, il m'aguichait de toutes les façons ; le monde est une femme. J'entrai en lui et fus un autre : peut-être est-ce là la cause de tout ce qui suivit ; car les causes, c'est du brouillard'.


Pierre Bergounioux, évoqué précédemment, dresse de beaux portraits de femmes, que ce soit Catherine, femme indépendante et libre auprès de laquelle il a oublié d'être digne, et dont l'abandon laisse le narrateur totalement anéanti, vautré comme une bête, ou que ce soit Miette, qui a réussi à s'élever au-dessus de sa condition précaire de femme à une époque où cela allait de soi, par son silence et son impassibilité qu'elle a préféré aux plaintes et aux larmes. Par sa force aussi lors des quatre années de guerre, tenant son monde à bout de bras. Mais qui restera simple miette de conscience perdue sur les hauteurs de la campagne limousine. Pierre Bergounioux situe son récit dans les années 50/60 pour Catherine et avant même pour Miette.
Pourtant Pierre Michon, lui, fait de la femme l'objet exclusif du désir masculin tout en situant son action à la même période. Certes il situe justement son récit à une époque, celle des années 60, où ce regard sur la femme pourrait se justifier, c'est ce que je me suis dit en début de lecture où la beauté des phrases a compensé cet état de fait. Certes son objectif est précisément de parler du désir, du fantasme viril. C'est vrai. Pourtant, au fur et à mesure de la lecture, les métaphores de possession, de prise, d'emprise, de ventre, de pénétration, qui ont pu me plaire au début du livre, ont fini par me gêner au fur et à mesure de ma lecture. du moins à me lasser. Comme un plat du terroir roboratif plaisant de prime abord, devenant presque indigeste à la fin. Bon, la toute fin m'a renversée, je dois bien l'avouer.

« Elle lâcha le flipper, elle tourna les talons et vivement amena dans le brouillard ses façons de glamour, ses aplombs de grue, son fourreau de nuit sous quoi régnait, absconse, la fente considérable ».

Le pire c'est le pauvre personnage de Mado, cette petite copine qu'il utilise comme exutoire pour ses besoins de mâle, femme maigre et sèche (selon lui), amoureuse de Baudelaire, qui déclame des alexandrins à Hélène, de façon quelque peu ridicule selon lui et fait mal l'amour avec ses petits cris de souris. Très gênée par la représentation de la femme que nous offre Pierre Michon, celle-ci doit être élégante, à talon haut, avec jarretelles, pour susciter le désir. Quant à l'objet du désir, Yvonne, c'est à une véritable réification à laquelle nous assistons. Elle n'est rien d'autre qu'un corps, que des bas de soie, une peau de lait…Même dans le deuxième texte, contemporain, cette femme ne sera qu'une femme passive et apeurée vers laquelle Jeanjean, son amant des bois, qui semble même la fouetter si j'ai bien compris, n'accorde quasiment aucun regard.

L'écriture, heureusement est là et compense, en partie seulement à mes yeux, ces éléments gênants. Les passages sublimes alternent avec d'autres tellement travaillés qu'ils ont tendance à noyer leur propos. Pourtant j'aime les écritures alambiquées, j'aime les aventures de l'écriture davantage que les écritures d'une aventure. Or, j'ai alterné dans cette lecture entre des moments de réelle admiration (et ils sont nombreux heureusement) et quelques moments d'ennui à chercher ce que voulait dire l'auteur.


Au final, ce livre est un beau livre dans lequel l'utilisation incessante des métaphores magnifie les paysages et les lieux d'une façon étonnante, totalement singulière, même si cette utilisation est parfois excessive, dégageant une ambiance rurale telle que nous pouvons en sentir les odeurs, notamment les odeurs putrescines, rien qu'en le lisant. Cette utilisation massive des métaphores traduit également les obsessions, l'obsession sexuelle du narrateur, mais aussi l'obsession littéraire de Pierre Michon pour son histoire ce qui revient au même, nous le sentons confusément. Obsession sur la rivalité entre civilisation et animalité, travaillée, retravaillée, au point d'avoir greffé un second texte au premier, laissant une cicatrice certes discrète mais emblématique. Je ressors un peu mitigée de cette lecture avec cependant en tête des images périgourdines magnifiques, et des sens totalement émoustillés par l'érotisme qui se dégage de ce texte, à l'image d'ailleurs de la photo présentée en jaquette, terriblement sensuelle…La toute fin est torridement inoubliable…Oui, Pierre Michon m'a clairement bousculée.

« L'accouplement est un cérémonial. S'il ne l'est pas c'est un travail de chien ».

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La grande écriture de Pierre Michon sublime un texte qui aurait pu se trouver limité à une parade érotique entre un jeune homme et une femme plus mûre, s'il eût été écrit par certains écrivaillons d'aujourd'hui peu capables d'exprimer la quintessence des émotions du désir.

Le jeune instituteur nommé à l'automne de l'année 1961 dans le bourg de Castelnau, en Dordogne, est très vite en proie à un fantasme, né de la vision quotidienne d'une buraliste trentenaire, à la peau blanche, qui va traumatiser ses sens jusqu'à l'accomplissement toujours différé, mais enfin assouvi, de son désir contenu.

Plusieurs centres d'intérêts émanent de cette courte lecture : la saison automnale puis hivernale décrite avec un style magistral par Pierre Michon, l'atmosphère paléolithique avec la caverne aux gravures disparues, la pêche à la truite, la carpe, le brochet, la friture, et, surtout, la toute puissance du désir, la tentation suggérée par la femme, dans cette ambiance saturée de testotérone, le tout avec une certaine lenteur qui emporte paisiblement le lecteur.

La réunion des deux rivières, Grande Beune et Petite Beune, sous le titre Les deux Beunes, présente la première publiée en 1996, la seconde en 2023 que l'auteur parvient à intégrer comme la suite aboutie de la première. Tout est beau dans ce livre, la nature, les femmes -- elle sont trois --, les hommes, pêcheurs, routiers, les écoliers, l'ensemble dans un véritable roman d'atmosphère, de perceptions, d'émotions, de véritable littérature.



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Il faut se laisser emporter par le courant de cette langue un peu surannée, souvent poétique, furieusement libre et tumultueuse. Pierre Michon écrit avec jubilation, tout à son affaire : l'expression d'un désir juvénile et souverain. Qui mieux qu'un vieil homme aguerri pouvait en raconter l'emprise ? Yvonne occupe son âme (« Elle ne souhaitait pas faire l'amour, elle voulait le commettre. Elle aimait ce comble de la civilisation »).
Son image fantasmée est déclinée à tous les temps et sous tous les angles, tel un chef d'oeuvre dont l'exégèse jamais ne lasse. Des paysages de fable, des enthousiasmes puérils, des saillies irréelles, d'infinies concupiscences, il y a quelque chose d'émouvant à voir l'écrivain, au crépuscule de sa vie, en raviver les souvenirs les plus ardents. L'histoire en devient accessoire : un jeune homme obsédé par une femme plus âgée que lui, soumise à des rivaux, aux flancs d'une rivière, à l'orée d'une grotte oubliée dont les fresques rupestres, brutes et mystérieuses, crient les origines de l'humanité.
Pierre Michon célèbre l'éternel féminin, aux confins des lettres, concédant sans ciller qu'une incandescente beauté surpassera à jamais les autres préoccupations, et qu'il est vital de s'y conformer pour faire triompher la vie et la vérité.
Bilan : 🌹🌹
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❝Ce n'est pas dans la jouissance que consiste le bonheur, c'est dans le désir.❞
Marquis de Sade, Les 120 journées de Sodome

❝Je ne crois guère aux beautés qui peu à peu se révèlent, pour peu qu'on les invente ; seules m'emportent les apparitions. Celle-ci me mit à l'instant d'abominables pensées dans le sang.❞

Il aura fallu patienter 27 ans pour lire la suite de la grande Beune (1996). La petite Beune a paru au printemps et voilà Les deux Beune publié chez Verdier. Heureusement, le lecteur de Pierre Michon sait l'être, patient. L'auteur, peu prolifique, affectionne la lenteur ; pour vous donner une idée, sa dernière publication, Les Onze, date de 2009, 144 pages après une gestation de 17 ans. Ses livres ne sont pas épais ; le temps gestationnel ne leur fait pas faire du gras. L'homme n'aime pas les bouffissures, peu de pages sont assez. La densité n'est pas dans le nombre de feuillets, mais ailleurs. Ici, dans la tension sexuelle immanente entre un jeune instituteur et une buraliste plus âgée.

Les deux Beune nous transporte au fin fond de la Dordogne : ses paysages troués de grottes profondes dont les parois abritent encore les premiers signes rupestres de l'occupation humaine ; ses forêts de noyers et de châtaigniers enveloppées de brouillards denses laissant croire que le ciel descend jusque sur Terre ; ses cours d'eau intranquilles ourlant les falaises de calcaire, on y pêche la carpe, la truite et le brochet ; ses ciels lourds où passe le V des grues. Un décor primordial, de début du monde, lavé de pluies galopantes, à l'écart de tout. Un décor archétypal, ❝un brouillard avec des gens dedans❞. Noyés derrière le rideau de pluie : le réel, l'allégorie et le mythe. Un pays baigné et de la noirceur des eaux d'une Beune/Styx et de la blancheur du lait sur laquelle le texte se referme sans vraiment conclure.

❝Il n'y a pas de gare à Castelnau ; c'est perdu ; des autobus partis le matin de Brive ou de Périgueux vous y larguent fort tard, en bout de tournée.❞

Pierre a été largué fort tard à Castelnau. Jeune instituteur de tout juste 20 ans en cette année 1961, il vient prendre son poste dans ce village ❝entre Les Martres et Saint-Amand-le-Petit, […] sur la grande Beune❞. La salle de classe sent la poussière de craie ; la pension où il loge, ❝[la] poussière immémoriale et comme fossile❞. le bureau de tabac niché sous les arcades sent, lui, la Marlboro. C'est là que Pierre découvre la sensuelle Yvonne qui élève seule son petit garçon de 7 ans que l'instituteur a dans sa classe.

❝C'est peu dire que c'était un beau morceau. Elle était grande et blanche, c'était du lait.❞

Ainsi résumée, la trame narrative est mince. On se dit que des histoires comme celle qui s'annonce, on en a lu des dizaines. Alors à quoi ça tient la magie Michon ?

L'auteur a un art et une maîtrise de la langue française incroyables ; il est capable, comme le disait Honoré de Balzac, de nous faire accomplir de délicieux voyages, embarqués sur un mot, sur une association de mots (métaphores, oxymores, etc.) formant une image à la fois très nette et inattendue qui alimente, ici plus qu'ailleurs, l'ambivalence du récit.

❝Moi, j'utilise le mot par effraction, pour sa sonorité, parce qu'il fait image, ou parce qu'il atteindra violemment le lecteur. J'en fais un coup de poing, pas un acte intellectuel.❞
Pierre Michon, le Roi vient quand il veut (Albin Michel, 2007)

C'est ça, je crois, la magie Michon. La puissance de la langue quand elle évoque des images fantasmées, la fureur du désir impatient, la blancheur soyeuse de la chair,

❝Là, les après-midi de congé, le plus souvent sous la pluie, je faisais mine de prendre l'air et de m'intéresser fort aux herbes ou aux cailloux – les instituteurs ont de ces lubies, de ces licences –, mais je tournais en rond dans les sentiers et l'attendais, raide, crispé dans une contention douloureuse qui faisait battre comme à même mon sang une femme parée puis nue, rhabillée aussitôt et nue, un rythme de nylons, d'or et de peau, mille soies battant cette chair de soie.❞

la tension sensuelle qui érotise le paysage et sexualise la nature

❝La lèvre de la falaise en bas de quoi coule la Beune.❞

ou

❝Et peut-être qu'enfin Jeanjean levait haut la main, lentement, et montrait à l'autre ce monde qui leur appartenait : ce monde voué à l'hiver avec un soleil pâle émergeant des brumes et découpant la grange, les trous de la falaise, la lèvre de la Beune, leurs ombres à tous les deux sur le mur de la grange ; et un moment ils se foutaient du monde, sans un mot.❞

ou encore quand Pierre court au rendez-vous

❝J'enfilais le pont […] Je fus sur l'autre lèvre.❞

Car oui, dans Les deux Beune, tout n'est que désir et tension. le livre est métaphoriquement tendu par le désir du narrateur d'enfin posséder Yvonne ; le texte est ponctué de répétitions (lèvres, soie, orgeat, lait, chair, etc.) qui tournent au vertige obsessionnel, et visité par un bestiaire sauvage et archaïque qui questionne notre animalité.

❝Nous nous dévisagions comme on déshabille. Nos regards étaient du nylon tendu. Dans le mien le fer du désir sans masque. […] Tout m'était immense : ses traits énergiques, que démentait l'exquise lascivité du léger double-menton ; le rouge catin de ses lèvres, le bleu catin de ses yeux ; sa peau de crème fouettée. Sous la robe, l'orgeat.
Elle était terrifiée et exultait : elle était la bête au gîte qui sent le furet, mais elle était aussi le furet. Privilège inouï de la femme ! elle a les deux rôles, quand l'homme n'est que furet.❞

Désir dans lequel Michon fait descendre son lecteur en spéléologue pour qu'il s'y enfonce comme dans un lieu où la lumière du jour travaille les ténèbres souterraines, comme dans une puissance secrète : l'abîme magique et mystérieux du désir originel, presque instinctif, entre le jeune monsieur Pierre et Yvonne. Je reconnais qu'il est facile de prendre Yvonne pour une femme-objet, mais c'est oublier que Pierre Michon est plus futé que cela. C'est Yvonne qui décide et choisit. C'est aussi Yvonne qui fait durer le désir, faisant passer le jeune Pierre par tous les états, de la frustration à l'assouvissement : la chasse plutôt que la prise. Que peut Mado, insipide étudiante en Lettres, face à Yvonne que le désir du pêcheur qu'elle a couru rejoindre à travers bois farde des mêmes couleurs que les femmes dessinées sur les parois souterraines ?

❝les lèvres en plaies et les yeux mâchés, les escarpins terreux, et parfois la grande trace, le trait de miel noir, le cassis enflé dans l'orgeat.❞

Lire Pierre Michon est exigeant ; écrire sur Pierre Michon est acrobatique. Il faut faire parler la langue, et ça résiste. J'ai repoussé plusieurs fois l'écriture de ce billet, car je voulais éviter à ceux qui allaient me lire de penser que Les deux Beune n'est qu'un fatras de concupiscence pornographique. Ce n'est rien de cela, bien sûr. Pierre Michon excelle dans l'art du dilatoire, à dire l'attente et les préludes amoureux qui exaltent le désir et le portent à son point d'incandescence. Son affaire n'est pas tant l'acte que les préliminaires. L'espace resserré de 160 pages laisse peu de place pour les péripéties ou les rebondissements dans lesquels ce genre de roman se perd parfois. Et même si le narrateur se dit ❝fou à lier, fou à tuer❞, il y a peu de risque de le voir passer à l'acte, ce qui nécessiterait des développements dont l'auteur ne veut pas.

En dépit d'une écriture très hétérogène (les phrases amples et voluptueuses de la grande Beune précédant les phrases courtes et irrégulières de la petite Beune), Les deux Beune forme un récit cohérent et unifié à 27 ans de distance : une autre prouesse.

❝Je revois ce fourreau que tissaient les eaux perfides et tricoteuses de la Beune, et qui le long de la falaise montait gainer les peupliers, l'auberge, l'église. le monde avait mis ses dentelles pour que je les froisse, il m'aguichait de toutes les façons ; le monde est une femme.❞

Bref, tendu, charnel, archaïque, primitif, violent, païen, ce récit des origines, écrit par n'importe qui d'autre, aurait eu peine à verser ni dans l'obscénité ni dans le grotesque. Mais c'est Michon...
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Une suite à la Grande Beune comme si les décennies n'étaient pas passées.
"Le présent se rencontrait enfin."
Dans la Petite Beune, l'atmosphère reste intacte, Yvonne si belle et toujours séductrice sort le narrateur de l'ombre.
Et toujours le même plaisir immense pour moi de retrouver le style et la densité de l'écriture de Pierre Michon.
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critiques presse (7)
LesEchos
17 mai 2023
Quatorze ans après « Les Onze », l'écrivain revient en librairie avec « Les deux Beune ». Une reprise et une continuation d'un texte marquant paru une première fois en 1996. On traverse ses cent cinquante pages, passant du brouillard à la lumière, comme magnétisé.
Lire la critique sur le site : LesEchos
SudOuestPresse
16 mai 2023
Pierre Michon donne une suite éblouie et éblouissante à « La Grande Beune », un fragment brut et rutilant sur le désir amoureux.
Lire la critique sur le site : SudOuestPresse
Marianne_
25 avril 2023
Directrice de la rédaction de « Marianne », Natacha Polony a lu « Les Deux Beune », le dernier livre de Pierre Michon. De sa lecture exigeante, elle tire un hommage passionné à ce grand écrivain, désormais tout à la fois – privilège des maîtres en littérature – novateur et classique.
Lire la critique sur le site : Marianne_
LaCroix
14 avril 2023
Avec Les deux Beune, Pierre Michon donne une conclusion à son récit de 1995, La Grande Beune, et une intensité nouvelle à cette rêverie érotique et mythologique.
Lire la critique sur le site : LaCroix
LeFigaro
27 mars 2023
L’écrivain creusois livre, vingt-sept ans après La Grande Beune, une extension magique.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
LeMonde
24 mars 2023
Cet affrontement entre « civilisation » et animalité est au cœur du livre, comme il est au cœur du désir de « monsieur Pierre » (on finit par connaître le nom du narrateur) pour Yvonne. Les dernières pages apportent une forme de résolution à ce que l’on pourrait appeler l’intrigue.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LeMonde
23 mars 2023
Pierre Michon rêvait de donner une suite à La Grande Beune (Verdier, 1996). « La Petite Beune » surgit près de trois décennies après « La Grande », avec laquelle il est publié sous le titre Les Deux Beune. Et ce qui frappe est un miracle : il parvient immédiatement à relancer la tension érotique presque hallucinée qui porte le premier texte.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (42) Voir plus Ajouter une citation
Au-dessus de ces trous pendant des années innombrables des rennes transhumèrent, qui de l’Atlantique remontaient au printemps vers l’herbe verte de l’Auvergne dans le tonnerre de leurs sabots, leur immense poussière sur l’horizon, leurs andouillers dessus, la tête morne de l’un appuyée sur la croupe de l’autre ; et là, dans le goulet crapuleux que forment s’embrassant la Vézère, les deux Beune, l’Auvézère, on les attendait avec des limandes, des becs-de-perroquet, des haros ; et les mangeurs de lichen de loin entendaient les tambours, voyaient des feux si c’était la nuit et le jour voyaient la fumée, mais sans dévier ils prenaient vers les tambours, s’étiraient dans les étroitures au bord de l’eau, tremblants ; ils y allaient tout droit ; car si les rennes avaient pu concevoir un dieu ou un démon ils l’auraient prié et pensé là, calendérique et imparable, chaque mois d’avril se levant partout à la fois sur les crêtes, déchaîné sans cause comme sont les dieux, apparaissant dans un corps multiple animé de la volonté unique de les rendre fous, dans des cliques à grandes gueules, des hommes tout en haches, des fosses avec des pieux dedans ; et ils auraient pensé que ce dieu était clément, car après tout ils n’en laissaient jamais là qu’un tiers, et le restant tout l’été jouissait des lichens d’or sur les basaltes, du soleil qui se couche derrière les doux volcans ronds quand le temps est beau et qu’on rumine l’herbe du jour.
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Je ne crois guère aux beautés qui peu à peu se révèlent, pour peu qu'on les invente ; seules m'emportent les apparitions. Celle-ci me mit à l'instant d'abominables pensées dans le sang. C'est peu dire que c'était un beau morceau. Elle était grande et blanche, c'était du lait. C'était large et riche comme Là-Haut les houris, vaste mais étranglé, avec une taille serrée ; si les bêtes ont un regard qui ne dément pas leurs corps, c'était une bête ; si les reines ont une façon à elles de porter sur la colonne d'un cou une tête pleine mais pure, clémente mais fatale, c'était la reine. Ce visage royal était nu comme un ventre : là-dedans les yeux très clairs qu'on miraculeusement des brunes à peau blanche, celle blondeur secrète sous le poil corbeau, cette énigme que rien, si d'aventure vous possédez ces femmes, ni les robes soulevées, ni les cris, ne dénoue.
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On descendait par trois marches à la salle commune ; elle était enduite de ce badigeon sang-de-boeuf qu'on appelait naguère rouge antique ; ça sentait le salpêtre ; quelques buveurs assis parlaient haut entre des silences, de coups de fusil et de pêche à la ligne ; ils bougeaient dans un peu de lumière qui leur faisait des ombres sur les murs ; vous leviez les yeux et au-dessus du comptoir un renard empaillé vous contemplait, sa tête aiguë violemment tournée vers vous mais son corps comme courant le long du mur, fuyant. La nuit, l’œil de la bête, les murs rouges, le parler rude de ces gens, leurs propos archaïques, tout me transporta dans un passé indéfini qui ne me donna pas de plaisir, mais un vague effroi qui s'ajoutait à celui de devoir bientôt affronter des élèves : ce passé me parut mon avenir...
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Je grimpai le raidillon à toute allure, je fus sur la place ; en bas de la place plutôt, et le tabac est à l'autre bout, tout en haut : je ne le voyais pas, on n'y voyait pas à dix mètres, ces dix mètres étaient le monde, le diamètre du monde, qu'on trimballait avec soi en marchant, ou qui attendait là avec vous, autour de vous, bien docile, quand on s'arrêtait comme je venais de le faire. Je m'étais arrêté en effet, et ce n'était pas pour reprendre mon souffle, pas davantage pour mesurer le diamètre du monde ; ce n'était pas non plus pour reconnaître cet amas bleu roi de poutrelles et d'écrous, de ligatures et d'énormes troncs fraîchement coupés, sur quoi j'avais failli buter, et qui était le trente-huit tonnes Berlier de grumes : c'est que j'entendais à vingt mètres, peut-être dix, hors du monde, dans l'invisible, des talons aigus fouler le pavé de la place et venir vers moi.

Elle entra dans le monde visible, elle fut sur moi, nous nous vîmes. Elle s'arrêta. Elle ne disait mot. Les grands yeux très ouverts regardaient les miens.

Deuxième partie, La Petite Beune, pp. 111-112
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Entre Les Martres et Saint-Amand-le-Petit, il y a le bourg de Castelnau, sur la Grande Beune. C’est à Castelnau que je fus nommé, en 1961 : les diables sont nommés aussi je suppose, dans les Cercles du bas ; et de galipette en galipette ils progressent vers le trou de l’entonnoir comme nous glissons vers la retraite. Je n’étais pas encore tombé tout à fait, c’était mon premier poste, j’avais vingt ans. Il n’y a pas de gare à Castelnau ; c’est perdu ; des autobus partis le matin de Brive ou de Périgueux vous y larguent fort tard, en bout de tournée. J’y arrivai la nuit, passablement ahuri, au milieu d’un galop de pluies de septembre cabrées contre les phares, dans le battement de grands essuie-glaces ; je ne vis rien du village, la pluie était noire. Je pris pension Chez Hélène qui est l’unique hôtel, sur la lèvre de la falaise en bas de quoi coule la Beune, la grande ; je ne vis pas davantage la Beune ce soir-là, mais par la fenêtre de ma chambre me penchant sur du noir plus opaque je devinai derrière l’auberge un trou.

Première partie, La Grande Beune, incipit, p. 11
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