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EAN : 9782378562038
96 pages
Verdier (28/03/2024)
4.19/5   77 notes
Résumé :
« Je voudrais faire des portraits qui un siècle plus tard aux gens d’alors apparussent comme des apparitions » écrivait Van Gogh il y a justement un siècle. Ces portraits, on peut douter qu’ils apparaissent aujourd’hui : comble de la valeur marchande, ils sont aussi peu visibles que les effigies des billets de banque. C’est que Van Gogh, qui accessoirement était peintre aussi, est une affaire en or. Dans cette affaire, il est bien au-delà de son œuvre maintenant, ... >Voir plus
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Peut-être n'avez-vous jamais entendu parler de Joseph Roulin ? Rassurez-vous, ce n'est pas une grande célébrité oubliée ou une grosse lacune dans votre culture générale. C'était, à la vérité, un employé des postes à la fin du XIXème siècle. Si son nom fait encore couler moindrement de l'encre de nos jours et est passé à la postérité, c'est surtout parce qu'il servit de modèle à Vincent van Gogh lors de son bref séjour en Arles.

C'est vrai qu'il a une gueule qu'on n'oublie pas Joseph Roulin. Si d'aventure vous ne voyez pas non plus à quels tableaux l'on fait référence, je vous glisse ce lien où tous les portraits sont évoqués à l'un ou l'autre moment dans ce livre.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Portraits_de_la_famille_Roulin

Nous y voilà : Pierre Michon s'est donc mis en tête d'écrire une biographie plus ou moins fictive sur ce brave bonhomme, ce Joseph Roulin, employé des postes, qui ne crachait pas sur l'absinthe et qui, ce faisant, devint un peu copain de beuverie avec cet étrange étranger aux cheveux rouquins venu de sa lointaine Mer du Nord pour peintre les soleils du sud.

Roulin fut parfois pris de pitié pour ce peintre mendiant et lui donna des confitures ou lui paya une tournée en refaisant le monde. C'est probablement lui qui se chargea de l'expédition des toiles de van Gogh à son frère Théo durant la période arlésienne. Il lui fit découvrir certains lieux, certaines personnes ainsi que les gens de sa famille.

Le peintre eut envie de les récompenser à sa façon, en les portraiturant, et, il va sans dire que la plastique tout à fait surprenante du vieux postier a très probablement tapé dans l'oeil de l'artiste tant il l'a couché de fois sur la toile. (Hormis lui-même, c'est probablement la personne qu'il aura peint le plus grand nombre de fois.)

Pierre Michon prend donc le parti, à partir des maigres éléments biographiques dont on dispose, de retracer ce qu'aurait pu être la vie de ce modeste facteur des Bouches-du-Rhône, principalement dans le dernier quart du XIXème siècle.

C'est un exercice toujours très délicat et l'auteur y met tout son talent de plume. Il a parfois des formules très plaisantes et n'hésite pas à faire revivre les très longues phrases à la Proust. Indubitablement il y a du style chez Pierre Michon et c'est suffisamment rare de nos jours dans la littérature française pour être signalé et célébré comme il se doit.

En revanche, de là à dire que j'y ai puisé tout ce que j'attends de la littérature, là, les deux plateaux de la balance ne s'équilibrent peut-être pas. Je n'y ai pas trouvé beaucoup de profondeur ; j'ai le sentiment que l'auteur s'est fait plaisir, — c'est déjà ça, me direz-vous — mais si je m'interroge sincèrement, je ne suis pas certaine qu'il m'ait fait plaisir à moi.

Dans ce style, la biographie d'artistes de la fin du XIXème siècle, j'avais mieux goûté l'oeuvre de Mario Vargas Llosa, le Paradis, Un Peu Plus Loin qui nous emmenait sur les traces de Paul Gauguin. Donc, puisqu'il me faut conclure, un livre de belle facture mais pas forcément d'un très grand intérêt pour moi, lectrice lambda, si ce n'est de me pousser à me documenter moindrement sur Vincent van Gogh.

Ceci dit, ce n'est bien évidemment que l'expression mitigée d'un avis minuscule et hautement discutable, brossé à grands coups nerveux sur la toile de Babelio, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Les thèmes de prédilection de Pierre Michon se trouvent rassemblés dans Une vie de Joseph Roulin : le portrait d'un inconnu à la "vie minuscule", l'évocation d'un peintre célèbre, Vincent van Gogh, l'immersion dans une période de l'histoire, la troisième république, et enfin le thème de la création artistique et du lien entre l'écriture et la peinture.

Pierre Michon a souvent écrit sur la peinture, la peinture pariétale dans La grande Beune, sur des peintres célèbres, Goya, Piero della Francesca, Watteau dans Maîtres et serviteurs, ou moins réputés, réels ou fictifs, comme le peintre Corentin du roman Les onze. Il dit à propos de son intérêt pour la peinture, qu'elle lui permet de plonger au coeur des mécanismes de l'activité artistique, de manière simple, au travers d'un tableau, petit rectangle dont la perception globale est immédiate, à l'inverse de la littérature qui requiert la lecture de longs ouvrages. Il apprécie de travailler sur les figures de l'artiste.

La vie de Joseph Roulin, responsable d'un entrepôt des postes, croise celle de Vincent van Gogh à Arles en 1888. Ce dernier est descendu dans le Sud pour y trouver "les ciels excessifs, japonais". Les deux hommes, qui fréquentent les mêmes bistrots, se prennent d'amitié. Van Gogh, attiré par la personnalité et la plastique du "facteur", en réalisera six saisissants portraits. Barbes majestueuses et bouclées, uniforme et képi en seront les constantes. le visage suivra l'évolution du degré d'abstraction et la sinuosité du trait du créateur. Il fera de Roulin une sorte de saint orthodoxe sur une icône ou de divinité grecque, mariant la force et douceur, la sérénité et le tourment. Les autres membres de la famille Roulin, la mère et les trois enfants, serviront également de modèles. Joseph Roulin, ne connaissant pas le marché de l'art se fera dessaisir des tableaux offerts et se trouvera bientôt muté à Marseille, où il n'aura plus de nouvelles du peintre et Vincent, sombrant dans la psychose, sera interné à l'hôpital Saint Paul de Mausole de Saint Rémy de Provence.

La rencontre entre ces deux êtres était improbable ; elle s'est concrétisée par de magnifiques oeuvres réparties dans les musées aux quatre coins du monde.
La somptueuse langue non académique de Pierre Michon, composée de longues phrases ondoyantes ou heurtées, à la syntaxe chahutée, épouse à merveille la composition des toiles du peintre et nous plonge dans la chatoyance des couleurs chaudes de la Provence de la fin du XIXème siècle.

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Quatrième de couverture : « Pierre Michon nous a donné ce qu'il a de plus précieux, seulement des phrases dont il est sûr qu'aucune ne manque et que toutes sont indispensables. »
Jean-Baptiste Harang. « Libération ».

Voilà ; c'est ça, le prodige Pierre Michon : chaque phrase est une oeuvre d'art à elle seule.
On la lit et la relit comme, je suppose, les amateurs de peinture s'éternisent, subjugués, devant un tableau qui les touche. Quand je lis Michon, je maudis ma mémoire qui ne sait pas retenir un texte, même quelques mots seulement, par coeur.

Pierre Michon, lui, est fasciné par la peinture. Ce petit ouvrage-ci est né des portraits faits par Vincent van Gogh, de Joseph Roulin, facteur à Arles. Cinq portraits que je découvre (merci Google) au fur et à mesure de ma lecture, qui enchantent Pierre Michon, et suscitent sa curiosité : qui était Joseph Roulin, sous sa casquette des Postes ? Comment van Gogh et lui se sont-ils rencontrés ? Quelles relations ont-ils conservées quand Van Gogh a quitté Arles en 1889 ?
Van Gogh a peint aussi la femme et les enfants de Joseph. Pierre Michon tente de suivre leurs traces, et retrouve celles, d'une triste existence, d'Armand, l'aîné, mort en Tunisie le 24 novembre 1945 « sans que son portrait qui est accroché à Rotterdam en marquât le coup d'aucune façon, s'écaillât d'un poil ni à plus forte raison tombât. » Et je me demande si Armand savait seulement que son visage figurait à la cimaise d'un musée néerlandais ?

Joseph Roulin a fini sa vie en 1903, à Marseille où il avait appris que les toiles de van Gogh trouvaient enfin preneurs ; enfin, puisque trop tard pour leur créateur.

Sur quelques faits avérés qu'il connaît de Joseph Roulin, Pierre Michon invente une psychologie, des façons d'être, des pensées, des états d'âme, à la fois plausibles et absolument attachants. Joseph Roulin, en son for intérieur : un prince plein d'idéal.

Mais l'écriture de Pierre Michon met de la magie sur tout ce qu'elle touche...
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«Qui dira ce qui est beau et en raison de cela parmi les hommes vaut cher ou ne vaut rien ?»

Joseph Roulin, employé des Postes à Arles puis à Marseille en cette fin de dix-neuvième siècle, a accédé à une double immortalité, d'abord avec les six portraits de lui peints par Van Gogh, puis par la magie de l'écriture de Pierre Michon, dans ce livre paru en 1988, cent ans après la rencontre entre Joseph Roulin et Vincent van Gogh.

A partir des signes laissés par ces portraits, et de quelques autres traces biographiques, Pierre Michon donne corps et vie à Joseph Roulin ; sa rencontre avec Vincent, ce que lui, Joseph Roulin, a pu penser, ou bien ressentir, de la peinture de Vincent devenu Van Gogh, les discussions des époux Roulin évoquant Van Gogh après sa mort - pauvre bougre ayant dépensé tant de forces pour rien dans les champs d'Arles - et enfin la vieillesse de Roulin à Marseille, et ce qu'il advient de son portrait, celui que Vincent lui avait donné.

« Et les soirs de 14 Juillet commencés pourtant dans la bonne humeur, son uniforme neuf astiqué, entre les clairons et les trois couleurs, les zouaves et les turcos, le ciel bleu, les soirs de prise de la Bastille on n'a rien pris et on finit par rester tout seul à une table dans un bistrot près du port, avec devant soi la mer qui est noire, les amis qui vous ont laissé à vos radotages, les jeunes mauvais qui vous regardent et rient avec les écaillères, la blanche qui coule dans la barbe et l'uniforme neuf qu'on a taché, et quand en colère on se lève, qu'on pousse la chaise et qu'elle tombe, ce n'est plus révolte, ce n'est plus acompte pris sur la république à venir, c'est la république elle-même qui tombe dans cette chaise qu'on regarde avec stupeur et quelque chose comme des larmes, ultimes mais qui pourtant ressemblent à du bonheur, la république délicieusement perdue, effondrée là, dans le passé ; »

Obscur employé de la Compagnie des postes, républicain et noyé dans l'absinthe, Joseph Roulin est immortalisé en moujik, en satrape à la barbe massive et fleurie, en icône, « comme un saint au nom compliqué ».

Tellement beau que les larmes coulent et que plus rien d'autre n'existe.
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Court récit retraçant le parcours et les pensées d'un facteur de la fin du XIXe siècle, ayant vécu à Arles en compagnie d'un certain Vincent van Gogh. Richement documenté, étayé par de nombreuses références qui créent parfois comme un malaise, une honte de ne pas connaître tant de choses, d'être aussi inculte et de devoir constamment chercher dans le dictionnaire les définitions d'une pelletée de mots rarement entendus (barine par exemple ?), l'histoire est prétexte au déroulement d'une pensée, non pas celle de Joseph Roulin, l'intime du méconnu devenu grand peintre, mais bien évidemment de l'auteur. Il nous emporte dans ses divagations et ses suppositions avec une facilité étonnante grâce à sa remarquable prose, sa douce poésie, ses phrases amples et interminables qui nous perdent par des digressions avant de nous remettre sur pied sans qu'on puisse s'en apercevoir.
Ce récit est aussi une véritable aventure. A la façon de Borges, peut-être, par la force de son vocabulaire, de ses références et de ses judicieuses répétitions, Pierre Michon nous permet cette évasion vers un univers que nous voudrions connaître et qui nous rappelle les rêves de l'enfance.
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Citations et extraits (22) Voir plus Ajouter une citation
Par quelle bizarrerie ce qu'il croyait être, et qui était, la peinture, c'est-à-dire une occupation humaine comme une autre, qui a charge de représenter ce qu'on voit comme d'autres ont charge de faire lever le blé ou de multiplier l'argent, une occupation donc qui s'apprend et se transmet, produit des choses visibles qui sont destinées à faire joli dans les maisons des riches ou à mettre dans les églises pour exalter les petites âmes des enfants de Marie, dans les préfectures pour appeler les jeunots vers la carrière, les armes, les Colonies, comment et pourquoi ce métier utile et clair était devenu cette phénoménale anomalie, despotique, vouée à rien, vide, cette besogne catastrophique qui de part et d'autre de son passage entre un homme et le monde rejetait d'un côté la carcasse du rouquin, affamé, sans honneur, courant au cabanon et le sachant, et de l'autre ces pays informes à force d'être pensés, ces visages méconnaissables tant ils voulaient peut-être ne ressembler qu'à l'homme, et ce monde ruisselant d'apparences trop nombreuses, inhabitables, d'astres trop chauds et d'eaux pour se noyer.
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Joseph Roulin survécut assez longtemps à Van Gogh.
Je crois qu'il en reçut quelques lettres de Saint-Rémy. […] Comment les lisait-il, Roulin ? Pas comme je les lirais, assurément, pas de cette lecture matoise et mauvaise, interprétative, que maintenant nous faisions de ceux qui ne nous écrivent que par une dernière politesse envers le sort, comme si sans illusions ils écrivaient à l'espoir en personne : c'est une mauvaise passe, disent-ils, c'est vent et circonstances, et on ne veut pas les croire, ils nous amusent, on sait que là-dessous sans recours ils culbutent, on est devenu très fort depuis qu'on sait que le langage ment. On a appris le pire, on y est installé. Mais pour Roulin, ça n'était pas si simple ; ça lui donnait à penser, comme on fait quand on ne lit pas entre les lignes, mais les lignes mêmes ; qu'on ne demande qu'à croire ce qui est écrit.
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Si on lui avait demandé ce qui là-dedans l'avait fasciné dès sa jeunesse, dès qu'il avait eu les moyens ou la curiosité d'étudier un peu et de penser par lui-même, il nous aurait répondu par les éternels arguments du sans-culottisme éternel ; il eût dit qu'il voulait simplement cela : que les hommes eussent un commerce sans méchanceté, sans la méchanceté qui fonde leur commerce, comme si Caïn était un conte de bonne femme, comme si les paroles et les dents n'étaient pas faites pour mordre ; que la valeur de l'argent ne fût pas seule visible, comme si d'autres étaient visibles, étaient même valeurs ; que le pain en chaque point de la terre fût chaque jour rompu dans une eucharistie perpétuelle, où tous étaient messie et tous apôtres, où il n'y avait pas de Judas ; que les derniers devinssent les premiers, et la casquette des Postes une couronne parmi d'autres.
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Roulin […] compta tout cet argent proposé. Il avait un jardinet, les enfants étaient grands ; pour les gnôles, la cuite est vite atteinte à un prix fixe, le salaire y suffisait. Et que peut-on acheter ? Tout, quand on a appris ; ce n'était pas son cas.
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Que Vincent eût absorbé du plomb lui aussi, cela ne l'étonna guère. Car ses étonnements il y avait longtemps qu'il les avait dans la peau et qu'ils ne le quittaient plus, qu'il les gardait bien cachés sous le petit plumet de l'alcool et la routine postale comme sa calvitie l'était sous sa casquette, mais inchangés et juvéniles encore, sans qu'il le sût ; sans qu'il sût même que c'était de l'étonnement, c'est-à-dire du vide, la terreur de ce vide et du goût pour cette terreur, car il avait mis dessus des convictions, des idées, garde-fous comme l'absinthe et la casquette.
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