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La façon la plus commune de nos jours et la plus sûre, probablement, de discréditer quelqu'un est de l'accuser d'être un(e) nazi(e) en puissance. En tant qu'enseignante, je ne compte même plus le nombre de fois où j'ai été qualifiée de nazie parce que j'avais OSÉ donner une punition à un élève, qui avait juste, lui, très humainement, martelé à coups de poings, à coups de pieds, la figure ou le corps d'un de ses petits camarades…

Outre cette première constatation, pour beaucoup d'entre nous, lorsqu'on entend dans une conversation « Milgram », cela évoque juste pour nos oreilles profanes une autre façon de dire un kilo. Toutefois, sitôt qu'on a entendu parler, ne serait-ce que de très loin, du nom et des expériences de cet éminent psychologue américain, « Milgram » prend une tout autre signification, et bien plus lourde, celle-là.

En effet, Stanley Milgram a montré à la face du monde, que si le nazisme — ou n'importe quelle autre forme de régime autoritaire (pensons par exemple à l'adorable Pol Pot au Cambodge) — était apparu à n'importe quel autre endroit du monde, les résultats eussent été rigoureusement les mêmes car l'humain semble plus ou moins conditionné à obéir aux ordres reçus, quels que puissent être ces ordres.

De très nombreux observateurs ont semblé écoeurés par la défense d'Adolf Eichmann lors de son procès tenu en Israël pour répondre de crimes de guerre à l'égard d'une foule de citoyens juifs pendant la Seconde guerre mondiale. En gros, l'argument d'Eichmann était : « J'ai appliqué les ordres. » Ceci semble révoltant et surtout tellement facile, après les faits.

Or, et c'est là que les expériences de Milgram résonnent comme un coup de tonnerre aux oreilles de la communauté mondiale, preuve à l'appui, n'importe quel bon et brave citoyen est capable d'infliger une torture ou des chocs répétés possiblement mortels s'ils en reçoivent l'injonction par un scientifique qui leur en donne la consigne.

C'est très déstabilisant, n'est-ce pas ? Nous imaginons tous que NOUS, nous n'aurions pas commis de barbarie, pas d'atrocité, rien de tout ça, nous sommes des humanistes, des amis du bien, or… eh bien, non ! Au risque de vous déplaire singulièrement, de vous faire vous écoeurer vous-même dans le miroir, dans certaines conditions qui n'ont rien d'extraordinairement difficiles à reproduire, vous pourriez, vous aussi, vous comporter comme un(e) nazi(e).

Alors, c'est toujours intéressant de lire comment ont été menées ces plus d'une vingtaine de conditions expérimentales différentes, pour écarter, tel ou tel facteur ou au contraire montrer son influence. Mais le plus intéressant, je pense, c'est la discussion de l'auteur sur le mécanisme d'acceptation de l'autorité.

De mon point de vue, c'est réellement captivant : la structure hiérarchique de notre espèce qui a été favorable à sa survie au cours de l'évolution. Cette structure qui implique un basculement de l'état d'individu à celui d'agent au sein de la hiérarchie et qui fait perdre le sens de la responsabilité personnelle.

Mais il y a également une foule d'autres paramètres qui explique très bien le comportement des personnes qui se soumettent aux ordres, quand bien même ces ordres iraient à l'encontre de leurs convictions personnelles. de plus, toute la discussion sur le conformisme, qui avait déjà été mis en évidence quant à lui par les expériences de S. E. Asch en 1951, est toujours incroyablement d'actualité, et pas plus loin que sur Babelio.

Regardez combien il est difficile d'aller à contre courant d'une majorité. Si tout le monde aime, celui ou celle qui n'aime pas est dans ses petits souliers et c'est tout juste s'il ou elle ose, après mille précautions, dire qu'il ou elle n'aime pas ce livre. On peut être à peu près certain qu'il y aura toujours un(e) tenant(e) de la majorité pour lui rappeler que c'est un(e) ignare et qu'elle ou il n'a rien compris à l'ouvrage et qu'il ou elle ferait mieux de se taire.

Stanley Milgram met aussi beaucoup l'accent sur l'incroyable stress généré par le conflit entre les convictions personnelles et l'ordre reçu. Si vous suivez vos convictions, quoi qu'il arrive, vous serez seul(e) face aux autres et le stress sera décuplé par un refus d'obéissance. Si vous vous soumettez, vous abaissez au contraire le stress généré en vous par le conflit. Vous avez même l'impression d'avoir accompli votre tâche.

Souvenez-vous d'Eichmann, aux yeux de tous, c'est un salaud et sa ligne de défense est pitoyable. Qu'en aurait-il été s'il nous avait pris idée de juger le gars qui a largué la bombe atomique sur Hiroshima. On peut raisonnablement se douter qu'en voyant le joli champignon qu'il faisait pousser, le gars en question n'imaginait pas faire du bien aux populations situées juste en-dessous. Il y avait des femmes, des enfants, des vieillards, rien que des civils, qui n'avaient rien fait, rien demandé.

Donc, si un tribunal japonais s'était avisé de juger les membres de l'équipage fatidique, qu'auraient-ils trouvé pour leur défense ? « Nous avons exécuté les ordres reçus par notre hiérarchie. » Les Japonais trouveraient que c'est un peu facile comme argument, que ça ne disculpe rien du tout, or, c'est très certainement la vérité. C'était très certainement la vérité aussi pour Eichmann, tout comme c'est très certainement la vérité également pour les tireurs d'élite qui ont descendu les frères Kouachi.

Certains sont des monstres, d'autres sont des héros, pourtant, quand on regarde ça de très loin, sans affect, sans idéologie aucune, on se rend compte que tout ça c'est plus ou moins la même farine, c'est un fonctionnement banal de l'humain. Un militaire, on lui dit « tire », il tire : il n'est pas là pour questionner les ordres qu'il reçoit et peu importe que la peine de mort soit abolie ou pas dans son pays. C'est un bon soldat, il a été fiable, il n'a pas tremblé au moment critique. Il en retire même peut-être une manière de satisfaction, « le plaisir du travail bien fait » comme qui dirait.

Bref, gardons-nous d'accuser quiconque de nazi ou de quoi que ce soit de comparable. Connaissons-nous nous mêmes avant de juger les autres et bien malin celui ou celle qui pourrait dire qu'il ou elle serait différent au moment critique. Telle est ma conclusion après la lecture de ce fantastique livre de Stanley Milgram que je recommande chaudement à tous. Mais comme à chaque fois, gardez bien à l'esprit que ceci n'est que mon avis, c'est-à-dire, bien peu de chose.
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Cet ouvrage de 1974, un classique de la psychologie sociale, rend compte d'expériences réalisées au début des années 60, mais –malheureusement- des expériences similaires récentes, variant genre et lieu dans le monde, confirment la valeur de ses conclusions. Stanley Milgram se propose d'étudier comment l'être humain concilie autorité et conscience individuelle. L'expérience montre que les actes, allant du suicide collectif à l'héroïsme, ne sont pas tant déterminés par des qualités personnelles que par la situation.
Dans cette expérience, un panel de personnes participe à ce qui est présenté comme une « expérience scientifique légitime ». le « jeu » consiste, pour des personnes faussement placées dans le rôle de moniteurs, guidés par les ordres d'expérimentateurs pseudo-scientifiques, à infliger –du moins c'est ce qu'on leur fait croire- des douleurs de plus en plus intolérables à des élèves, en réalité complices de l'expérience. L'objectif est de pousser toujours plus loin le confit entre la conscience personnelle et la soumission à l'aurorité, le participant se trouvant confronté d'une part aux ordres de l'autorité, d'autre part aux plaintes -fictives- du faux-élève puni.
Les résultats s'avèrent inattendus et inquiétants : la plupart des personnes continent d'administrer la douleur supposée jusqu'à un degré insupportable. Grace à « une restructuration soigneusement calculée de l'information et de l‘environnement social », il s'avère possible de neutraliser les principes moraux de la personne, non que cela la transforme en sadique, mais par soumission à l'autorité : déresponsabilisé, il agit en agent, soucieux d'agir le plus conformément possible à l'objectif assigné.
La suite de l'expérience consiste à varier les facteurs extérieurs, afin d'affiner la connaissance de leur lien avec la soumission. Il s'avère que la proximité de la victime accroit la rébellion, l'assimilation psychologique à un groupe jouant en faveur de la « victime ». de même, éloigner l'expérimentateur-autorité réduit l'obéissance, le participant s'autorisant alors à tricher, ce qui constitue une variante de la rébellion ouverte. de même, toute ambiguïté dans le détenteur d'autorité brouille la cohérence du système de soumission brèche dans laquelle engouffre alors l'indiidu.
Les processus d'adaptation adoptés par les personnes pour justifier leur acte de soumission sont variés, mais beaucoup se laissent absorber par les aspects techniques de leur action, se positionnant alors comme simples rouages ; ce qui leur permet de nier toute responsabilité. Milgram s'appuie sur ces constats pour dénoncer dans la division du travail des sociétés modernes l'un des éléments expliquant la perte de vue d'ensemble par l'individu.
Outre la puissance de l'autorité, intrinsèquement contenue dans son caractère institutionnel, une autre « force » vient rivaliser avec elle pour annihiler le libre-arbitre : le conformisme lié à la formation d'un groupe… à tel point que la force du groupe peut finalement s'imposer, aux dépens de l'autorité, sans pour autant qu'on puisse parler d'un rétablissement du libre-arbitre.
Cette expérience peut sembler choquante, et rappelle de sombres souvenirs historiques, mais Milgram vise justement à détruire cette confiance a priori qu'a chacun d'agir suivant son moi profond plutôt qu'en réaction à un environnement donné. Tenté d'exhorter l'individu à faire acte de conscience et abolir l'obéissance aveugle -aisément construite par l'autorité-, Milgram n'oublie pas cependant que cette obéissance à la hiérarchie ou/et au groupe est un facteur de survie de l'être humain dans la structure sociale qui le protège. Par suite, la conscience individuelle elle-même l'a intériorisée, et produit souvent un sentiment de honte ou d'anxiété chez celui qui se révolte. Dès lors, assez pessimiste, Milgram estime finalement que le seul recours individuel « reste une attitude de scepticisme général et systématique vis à vis des critères que le pouvoir tente d'imposer ».
Un ouvrage vite lu qui, au-delà du premier choc, instruit, et invite chacun à une prise de recul salutaire...
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Avec la série d'expériences réalisée au début des années 1960 et qui porte désormais son nom, Stanley Milgram a mis en lumière les processus d'obéissance et de désobéissance, la façon dont l'homme concilie les impératifs de l'autorité avec la voix de sa conscience.

Compte-rendu de lecture complet sur le blog :
Lien : https://bibliothequefahrenhe..
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C'est un livre à la vertu pédagogique évidente, le genre de lecture qui transforme notre vision de la société de façon radicale en nous permettant d'ouvrir les yeux et de comprendre certains mécanismes de manipulation psychologique.
On en ressort forcément troublé mais aussi plus instruit, plus éclairé, et plus critique sur notre façon de raisonner.
Un ouvrage toujours et plus que jamais d'actualité !
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Passionnant et glaçant.
Découvert au lycée, relu récemment. Il me fait toujours froid dans le dos ! Je l'ai résumé à mes filles, je trouve cette expérience incroyable et effarante.
Evidemment pendant toute la description des expériences, on s'interroge sur soi. Et honnêtement ça fait peur.
L'un des livres qui m'est resté le plus en mémoire.
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S.Milgram a démontré à travers différentes expériences comment il est possible d'influencer un individu par le principe de la soumission à l'autorité. Ainsi sous l'influence d'une autorité, un individu est amené à infliger des chocs électriques (fictifs mais dont le sujet n'a pas connaissance) à une personne qui répond faux. le taux d'obéissance est très important malgré les supplications de la victime.
Avec différentes variantes d'expériences, il analyse ce processus et montre à quel point l'individu peut être conditionné à réaliser un acte qu'il n'aurait jamais réalisé par lui-même
un document très instructif mais soulève néanmoins une question d'éthique sur ce type d'expérience.
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Je ne connaissais que vaguement les expériences de M.Milgram ainsi que la conclusion hâtive qui en découle : l'être humain aime faire souffrir ses semblables. C'est donc avec cet apriori naïf que je me suis lancé dans la lecture de ce bouquin...

Et force est de reconnaitre que les travaux de M.Milgram ont été détourné pour leur faire dire ce qui arrangeait les gens. le livre est très bien écrit et intelligible pour la majorité des personnes sans avoir un bac +48 en science sociale.

M.Milgram décrit les forces qui font que l'être humain se soumet à l'autorité et le pousse a accomplir des actes qu'il serait incapable de faire sous le seul joug de sa propre conscience. La taille de notre société, son organisation hiérarchique (l'autorité) et la division du travail sont les grandes conditions pour pouvoir pousser l'homme a commettre des actions moralement répréhensibles sans qu'il ne se sente concerné par ses propres actes. En effet, le fait d'être un simple rouage d'une machinerie complexe empêche l'homme de voir le résultat de ses actions, mais également de se poser la question de pourquoi il les fait. Il délègue sa conscience à l'autorité supérieure qui lui donne ses ordres et il n'éprouve de la satisfaction que dans le fait de bien les exécuter.

Ce livre amène a réfléchir mais je le trouve optimiste : la volonté de soumission à l'autorité et le besoin d'ordonner notre société de façon verticale n'est pas une fatalité. Il est sans doute possible de trouver d'autres façon de régler notre société pour éviter les effets pervers de la soumission à l'autorité, mais encore faut-il en avoir envie.
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Cela fait peur. Les expériences qu'a fait Milgram et dont il nous fait le compte rendu dans ce livre, sont angoissantes. Elles sont puissantes au point de nous interroger: quelle est notre susceptibilité à plonger dans le mal absolu? L'inhumain n'est jamais très loin, notre antithèse fait partie de nous.
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Vous pouvez trouver un résumé du livre de Milgram "Soumission à l'autorité", à cette adresse :
http://cesarcesar.fr/index.php/manuels-de-combat/52-articles/manuels-de-combat/349-milgram-soumission-a-l-autorite-1974
Ou directement en tapant "César Valentine Milgram" dans Google. le résumé du livre de Milgram est fait chapitre par chapitre. C'est un bon complément à la lecture de l'ouvrage, et permet une seconde lecture synthétique.

Lien : https://cesarcesar.fr
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Comme tout ceux qui se sont intéressé à ces découvertes remarquables en psychologie, j'ai accepté et répandu les affirmations de l'expérience de Milgram. de récentes analyses des carnets de travail et d'autres publications de Milgram mettent sérieusement en doute la valeur de cette expérience. Les sérieux écarts au protocol (insister beaucoup plus que 4 fois lorsqu'un "formateur" refuse de donner l'électrochoc; les résultats sont plutôt la somme de 25 expériences qui ont varié grandement en méthodologie) et certaines observations de Milgram partagé plus tard dont le fait que 44% des participants perçaient la duperie et que c'est surtout parmi eux qu'on trouve le comportement de soumission qui mène à l'électrochoc à dose maximale.

publication critique de l'expérience de Milgram: Behind the shock Machine, the untold story of the notorious Milgram psychology experiments, de Gina Perry

et un article qui cite une publication récente de chercheurs Australiens/Ecossais/Etats-uniens:
https://www.letemps.ch/societe/lart-lelectrochoc-mensonges-lexperience-milgram


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