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Critique de zenzibar


« O ether divin, soufflez au vif envol, sources des fleuves, innombrable sourire du flot marin, terre immensément maternelle ! » (Eschyle)

« O soleil irrigué
Par l'écho des légendes » (André Velter)

Dans cette vie terrestre il existe des rencontres en lévitation, de personnes, de lieux, d'oeuvres d'art…Des rencontres que les surréalistes avaient célébré en leur temps comme dans l'onirique et tragique Nadja d'André Breton.
Une sorte d'enchantement qui donne corps aux ondulations intimes, cristallisés, sublimés.

Regard où se dévoilent les pulsions diaphanes.

La lecture peut offrir naturellement une telle rencontre et cet enchantement ; c'est celui offert par ce « Colosse de Maroussi », tout particulièrement pour qui a eu la chance de s'imprégner in vivo de quelques fragments de ces territoires azuréens, surtout un peu, beaucoup à l'écart des lieux et/ou moments surfréquentés.

Trente cinq ans avant le magnifique « Ete Grec » de Jacques Lacarriere Henry Miller a écrit cet ouvrage alors que l'homme s'apprêtait une nouvelle fois à orchestrer tout son savoir faire en matière d'orgues de barbarie. Nous sommes en 1939, la drôle de paix s'achève, drôle de paix et ses charniers en URSS, en Chine, en Espagne…

Des intellectuels prennent tous les risques et s'engagent, d'autres « résistent » depuis leur terrasse de café parisienne et certains hurlent avec les loups, le talent artistique, l'artiste n'étant pas remis en cause parait-il par l'ignominie.

Henry Miller n'est pas dans le déni, tout le contraire, il porte sur l'espèce humaine un regard lucide et sombre. Mais il ne prendra pas les armes et répond à une invitation de son ami Lawrence Durell en Grèce, résident sur l'Ile de Corfou. Peu de doutes que cette sensibilité eut été fortifiée si Henry Miller avait pu savoir le calvaire que l'occupation allemande allait infliger à la Gréce et tout particulièrement à la Crête.

Quel est donc ce « Colosse de Maroussi » ? Non il ne s'agit pas d'un avatar du colosse de Rhodes mais d'un être de chair et de sang, Katsimbalis dont l'auteur fait connaissance dans ses rencontres au fil de l'eau, ou plutôt de l‘ouzo et autres spiritueux. Un grand gaillard, truculent, plein de verve, le verbe haut dont il est régulièrement difficile de démêler le vrai du faux dans son espièglerie. Presque un auto portrait … Mais « Individu plus humain que Katsimbalis, je n'en ai jamais rencontré  » (p.314)

Dans ces agapes, de grands moments comme cette intimité avec le grand poète Georgios Seferiades alias Seferis futur prix Nobel de littérature.

L'auteur découvre la Grèce et il est d'emblée saisi, émerveillé, par le patrimoine historique, géographique, mais aussi et surtout par le contact avec les Grecs, subjugué par leur authenticité, chaleur, leur générosité en dépit de la grande pauvreté de la majorité d'entre eux.
« Où que l'on aille en Grèce, les gens s'ouvrent comme des fleurs » (p. 63)

Si au fil des pages du livre la spontanéité de l'émerveillement ne fait pas de doute, difficile néanmoins de ne pas penser qu'Henry Miller ne s'était pas sérieusement documenté et avait déjà en quelque sorte tracé des sillons pour accueillir les ruissellements d'émotion. Il ne s'est pas contenté de visiter par curiosité le Parthénon ou Delphes. On ne s'isole pas en Crète à Phaïstos en 1939 par hasard :

« C'est une des rares occasions de ma vie où j'ai eue pleinement conscience d'être au bord d'une grande expérience. (..) Au fond du coeur l'homme est uni à l'univers. Phaestos renferme tous les éléments du coeur ; Phaestos c'est la femme entièrement. » (p.209 et 212).

Si la Crète a été enivrante, la Grèce continentale a tout autant bouleversé l'auteur.

« A Epidaure, dans le silence, dans la grande paix qui m'envahirent j'ai entendu battre le coeur du monde » (p.103), à Mycènes « Debout devant le tombeau d'Agamemnon, j'ai vraiment passé par une second naissance. » (p.314)

Autre qualité et non des moindres, ce livre a aussi beaucoup d'affinités avec Camus dans ses « Noces » et la flamboyance de Tipasa ou « L'été » en particulier « Prométhée aux enfers ».

Oui, ce livre de Miller est en lévitation, comme sublimé par la lumière d'Apollon, mais contrairement à Laccarière et à Camus évoqués le reste de son oeuvre et de sa vie, chaotiques, semble en proie à une fièvre dionysiaque.

A noter que l'auteur a également composé une version courte de cette séquence de sa vie, « Premiers regards sur la Grèce » avec quelques nano variations. Un très beau récit également.
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