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Citations sur Histoire de la solitude et des solitaires (13)

Toute véritable empathie est impossible ; la compassion, l'amour fusionnel n'existent qu'en paroles. En réalité, chacun reste enfermé en lui-même, incommunicable et impénétrable.
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A côté de cette solitude hautaine du visionnaire inspiré [Alfred de Vigny], la solitude intimiste d'Alfred de Musset (1810-1857), qui refuse toute poésie sociale et politique. La solitude pour lui fait de toute façon partie de la nature humaine, même si beaucoup ne s'en rendent pas compte. Les hommes sont des « machines isolées », et l'isolement des corps ne fait que matérialiser l'isolement des esprits. C'est ce qu'il fait dire à Fantasio dans la comédie du même nom : « Ce monsieur qui passe est charmant. […] Je suis sûr que cet homme-là a dans la tête un millier d'idées qui me sont étrangères ; son essence lui est particulière. Hélas ! Tout ce que les hommes se disent entre eux se ressemble […], mais, dans l'intérieur de toutes ces machines isolées, quels replis, quels compartiments secrets ! C'est tout un monde que chacun porte en lui ! Un monde ignoré qui naît et meurt en silence ! Quelles solitudes que tous ces corps humains ! »
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La société de l'autonomie individuelle sécrète des solitaires dépressifs. Le processus est multiforme. L'individu, plus que jamais confronté à l'obligation de faire des choix en permanence, se sent pleinement responsable de ses échecs. Ce n'est évidemment pas un hasard si l'existentialisme s'est développé au moment de la révolution de l'autonomie : l'homme s'éprouve comme pure liberté, comme existant, élaborant son essence dans l'angoisse. L'individu a en outre le devoir de « s'accomplir ». Dans une société où tout est affaire de séduction, il faut savoir se vendre, faire preuve de motivation, de dynamisme, donner une image positive de soi. Le culte du look et du corps, la hantise des signes de vieillissement et des traits disgracieux sont une obsession supplémentaire. Il faut à la fois être différent et reconnu de ses pairs. Et toutes ces obligations sont beaucoup plus pesantes que ne l'étaient les règles sociales d'autrefois, qui ne requéraient qu'obéissance et conformisme.
Aux contraintes de la société du narcissisme s'ajoutent les contraintes et frustrations de la société de consommation qui, pour écouler une production de masse, a besoin de consommateurs isolés. Tous pareils et tous différents. Créer des besoins massifs en profondeur et encourager la personnalisation superficielle ; faire croire à chacun qu'il est unique, tout en le réduisant à l'état de clone indifférencié. Pour cela, créer un climat hédoniste, encourageant la satisfaction immédiate des besoins et abolissant les interdits, ce qui suppose la disparition des valeurs transcendantales et de toute idée d'un sens de l'existence ; instaurer la liberté de choix, privilégier l'initiative individuelle, la nécessité pour chacun de s'affirmer, de se faire une place.
L'atmosphère euphorique est entretenue par les fêtes, célébrations, jeux, animations, émissions centrés sur le narcissisme. Tous ces éléments combinés créent un climat propice à une prise de conscience de la solitude individuelle.
[...]
Des individus atomisés dans une société atomisée. Plus de gravitation, plus d'attraction : les atomes s'entrechoquent au hasard de la liberté, affichant indifférence et détachement. Dans cette bouillie sociale, le besoin de reconnaissance et de domination ne peut plus s'appuyer sur des codes et des valeurs unanimement acceptés. Il ne peut être satisfait que dans un combat permanent de tous contre tous, où tous les coup sont permis. La déréglementation généralisée aboutit à la mêlée ; ce n'est même plus la loi de la jungle, c'est la jungle sans lois, où chacun n'a plus que des droits, tous les droits, à une seule condition : être capable de les faire valoir. Les conseillers en communication et experts du coaching sont là pour nous apprendre à nous débarrasser de nos angoisses, de nos inhibitions, de nos anxiétés ; il faut être fort, froid, impitoyable pour survivre, pour « tirer son épingle du jeu ». Cet état de guerre généralisée, que Hobbes et Locke imaginaient au début de l'humanité, dans l'état pré-civilisé, apparaît comme l'étape actuelle de la civilisation.
Que cette situation soit à l'origine d'un mal de vivre sans précédent est une évidence. Tout individu qui n'est pas à la hauteur est piétiné. Tous ceux qui sont des perdants, pour des raisons physiologiques autant que psychologiques, sont déclassés. Le besoin d'attirer l'attention pour se sentir exister engendre de nouvelles névroses et de nouveaux déséquilibres : conduites et tenues toujours plus osées, mise à nu de son intimité, devoir d'indifférence afin de développer l'indépendance affective, détachement affecté, autant de comportements qui sont sources de frustrations, de déstabilisation et de solitude.


XXe siècle
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Comme nous venons de le voir à travers les propos peu flatteurs de Durkheim, le personnage du célibataire est central dans la société du XIXe siècle. Central en raison du problème que pose sa marginalité, pourrait-on dire. Car la norme dans la société bourgeoise de l'époque, c'est bien entendu la famille, dûment cimentée par les liens matrimoniaux officiels. Nous sommes dans le siècle de la famille bourgeoise nucléaire triomphante, justifiée par les intellectuels de tous bords. Kant, célibataire endurci, célèbre le mariage, qui discipline l'individu, « étouffe l'appel de la vie sauvage » en lui. Hegel, dans la Philosophie du droit (1821), subordonne l'individu à la famille, cercle essentiel de la vie sociale, rempart de l'ordre et de la moralité. Pour Louis de Bonald, le mariage est une institution sacrée et le divorce une perversion. Mêmes les penseurs libéraux, Constant, Guizot, Tocqueville, font de la famille nucléaire la cellule de base garante de la stabilité sociale. Cellule tellement homogène qu'elle en est étouffante et provoque des mouvements de répulsion chez beaucoup d'esprits indépendants, qui se rallieraient volontiers au cri d'André Gide : « Familles, je vous hais ».
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Et dès le début du siècle une nouvelle science, la psychanalyse, explorant le vaste monde de l'inconscient, confirme que la solitude accompagne le processus de civilisation, et qu'elle ne peut que s'accroître dans la société moderne. C'est dans Le malaise de la culture que Freud établit le plus clairement ce fait. Le sentiment de solitude est une forme d'isolement volontaire – tout en étant inconscient – qui est lui-même une stratégie de défense de l'individu face aux agressions de la société civilisée. Celle-ci est en effet de plus en plus contraignante et répressive : « Il est impossible de ne pas voir dans quelle mesure la culture est édifié sur du renoncement pulsionnel, à quel point elle présuppose précisément la non-satisfaction (répression, refoulement et quoi d'autre encore ?) de puissantes pulsions. Ce « refusement » par la culture exerce sa domination sur le grand domaine des relations des hommes. »
Dans l'état de civilisation, de culture, le principe de réalité entre en conflit avec le principe de plaisir, en multipliant les interdits. Dans le monde primitif, la satisfaction de nos instincts n'avait pour limite que notre faiblesse face à la nature et nos capacités physiques. Avec la civilisation, l'organisation sociale met en place une morale répressive qui nous empêche de satisfaire nos instincts naturels égoïstes. C'est pourquoi, selon Freud, « nous serions beaucoup plus heureux si nous l'abandonnions et retournions à des conditions primitives ». Mais cela n'est pas possible. Alors les hommes mettent en place inconsciemment des stratégies « d'évitement du déplaisir. » Elles sont de deux types contraires : aller vers les autres ou éviter les autres.
[…]
Et puis, il y a une autre stratégie d'isolement : le narcissisme, qui consiste à investir sur le moi toute l'énergie libidinale : « Le stade narcissique consiste en ceci : l'individu en voie de développement,[...] afin de conquérir un objet d'amour, se prend d'abord lui-même, il prend son propre corps pour objet d'amour. » C'est le narcissisme primaire. Dans le narcissisme secondaire, c'est le moi entier qui est l'objet de l'investissement de l'énergie. L'individu atteint alors la solitude, il jouit de lui-même. Il s'agit d'une conduite régressive, un retrait de la libido du sujet vers lui-même, souvent causé par une déception due à l'objet extérieur du désir : celui-ci est désinvesti de sa charge libidinale, qui reflue vers le moi. C'est une réaction du moi face à un objet décevant et non fiable. La stratégie de l'ermite rejoint alors celle de Narcisse dans une conduite de bernard-l’hermite qui rentre dans sa coquille. Il se réfugie dans un monde qui, selon Lacan, « ne contient pas d'autrui ». Protection bien fragile toutefois : la solitude narcissique est un leurre de plus. Freud l'avait bien vu dans sa description des « types libidinaux », où il décrit le caractère narcissique comme plus indépendant mais plus vulnérable. 
« Le danger du repli narcissique et du désinvestissement de l'objet expose le moi à des angoisses très menaçantes, les angoisses narcissiques », écrit André Green.


XXe siècle
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En descendant le Nil, on passe près du centre d'Oxyrrinchos, où se trouvent plus de 20 000 moniales. En basse Égypte, à l'ouest du delta, à une centaine de kilomètres au sud d'Alexandrie, se trouve le désert de Nitrie, ou de Scété, un désert fort peuplé : plus de 5 000 moines vivant seuls ou à plusieurs dans de petites cabanes isolées. Plus on pénètre profondément dans le désert, plus les cabanes sont éloignées les unes des autres. Dans ce « désert des cellules », on trouve les champions de la solitude, ceux qui ont dépassé le stade cénobitique : « C'est là que se retirent ceux qui ont déjà été formés là-bas et qui veulent abandonner les observances élémentaires pour mener une vie plus séparée. On y trouve en effet le grand désert, et les cellules y sont si éloignées les unes des autres qu'on ne peut, de l'une, ni voir aucune autre ni entendre une voix qui en sort. » Toutefois, ils gardent des liens entre eux, se rassemblent pour assister le week-end aux offices, parcourant parfois dix kilomètres dans le sable pour s'y rendre. S'il y a un absent, ses « voisins » vont vérifier qu'il n'est pas mort et lui apportent de l'aide : « Chacun demeure dans sa cellule. Grand est le silence, grande la tranquillité . Le samedi et le dimanche seulement ils se réunissent à l'église et ils se voient les uns les autres comme s'ils étaient rendus au ciel. Si quelqu'un manque dans leur assemblée, ils comprennent aussitôt que quelque accroc de santé l'empêche de venir, et ils vont tous le voir, non pas tous ensemble cependant, mais à des moments différents, chacun apportant ce qu'il a sous la main et qui peut faire plaisir au malade. » Cette vie saine leur assure d'ailleurs une remarquable longévité : l'auteur de l'Historia [Ouvrage anonyme relatant un voyage effectué en 394-395] assure avoir vu plusieurs octogénaires et nonagénaires, ainsi que deux moines âgés de 110 ans.


IVe – Ve siècle
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La solitude ne laisse ni neutre ni indifférent. Elle engage toute notre conception de la condition humaine. On est pour ou on est contre. cela dépend de notre personnalité mais aussi du moment. (...)
La solitude est une fleur qui pousse sur le terreau des relations sociales et des courants culturels, qui la font prospérer ou se faner. (...)
...j'aime la solitude, et cette histoire, tout en s'efforçant de respecter les normes de la critique historique, est animée par une passion pour la vie solitaire.

Introduction
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Cette histoire mouvementée de la solitude a laissé de nombreuses traces, littéraires surtout: les solitaires sont souvent très bavards par écrits. Ils ont laissé des confidences, des plaidoyers, des journaux intimes, des poésies, des lettres. La solitude a donné lieu à bien des débats philosophiques, religieux, littéraires, car elle n'a jamais laissé indifférent: elle fascine, intrigue, étonne, attire et scandalise, on l'admire ou on s'en moque, on en fait une vertu ou un vice, un refuge ou un enfer, mais à toutes les époques on en parle avec passion. Depuis le XIXe siècle, les sciences humaines se penchent sur ce phénomène: sociologues, psychologues, psychanalystes, médecins, philosophes lui consacrent d'innombrables travaux. Et elle continue à diviser, suivant qu'on l'envisage comme fléau social, comme composante irréductible de la condition humaine, comme anomalie ou comme plénitude de l'individu, comme détresse ou comme salut.
La solitude ne laisse ni neutre ni indifférent. Elle engage toute notre conception de la condition humaine. (p. 11)
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Cette histoire mouvementée de la solitude a laissé de nombreuses traces, littéraires surtout : les solitaires sont souvent très bavard par écrit. Ils ont laissé des confidences, des plaidoyers, des journaux intimes, des poésies, des lettres. La solitude a donné lieu à bien des débats philosophiques, religieux, littéraires, car elle n'a jamais laissé indifférent : elle fascine, intrigue, étonne, attire ou scandalise, on l'admire ou on s'en moque, on en fait une vertu ou un vice, un refuge ou un enfer, mais à toutes les époques on en parle avec passion. Depuis le XIXe siècle, les sciences humaines se penchent sur ce phénomène : sociologues, psychologues, psychanalystes, médecins, philosophes lui consacrent d'innombrables travaux.

Introduction
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La volonté d'atténuer cette solitude est à l'origine du langage, de l'art, de la science : « Le sentiment aigu de la solitude, né du désir interdit, immédiatement impossible, excite la créature humaine communiquer ce désir en temporisant son ardeur, son trop-plein de vivre, et ainsi de créer, à défaut de procréer. […] La solitude, souffrance née des séparations inévitables qui font de l'individu par son corps, dans l'espace et dans le temps – ses limites tactiles -, une créature unique, est aussi le sentiment qu permet aux individus humains d'établir par le langage des liens subtils par-delà l'espace et par-delà le temps. » [Cf Dolto – Parler de la solitude]
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