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Critique de oiseaulire


J'aurais dû lire "Reims" avant "Paris", mais cela a peu d'importance, car la pâte est la même, et c'est une bonne pâte.

Le narrateur intègre une école de commerce de deuxième catégorie à Reims, où il rencontre d'autres recalés des grands concours parisiens. Raté pour raté, autant ne pas faire les choses à moitié et former société avec les plus grands loosers de l'établissement. Loosers dans leur tête, surtout, mais c'est comme si ce qu'on avait dans la tête clignotait sur le front : tous s'en rendent compte, les filles surtout.

Le petit groupe philosophe à la petite semaine et va de bitures en bitures dans une spirale descendante qui les colle plus souvent qu'il le faudrait au lino jamais lavé de leurs studios d'étudiants.

Pour mieux supporter un milieu ambiant délétère et des études qu'il exècre (marketing, économie, comptabilité, droit), le jeune Moix se consacre à la littérature et à la philosophie, ce qui lui procure de grandes jouissances solitaires mais ne lui assure pas un succès éclatant aux examens (ni auprès des filles qui se refusent toutes obstinément à lui, pourquoi, il n'est ni très laid, ni très bête, mais voilà, le manque de confiance en soi est très pénalisant : cela rappelle beaucoup "Extension du domaine de la lutte" et son inexorable sélection sexuelle).

Heureusement la littérature tirera le jeune naufragé par les cheveux : il sortira de ces trois années d'apparente stagnation et de fréquentation assidue des oeuvres des phrères simplistes (trois lycéens poètes des années 1920 qui hantèrent eux aussi l'ennui rémois, René Daumal, Roger Gilbert-Lecomte et Roger Vailland) avec une farouche résolution : "Je décidai de devenir le personnage de mes oeuvres inexistantes et géniales. Demain, tout-à-l'heure, après la pluie, j'irai montrer mes pages aux éditeurs et à la postérité".

Il arrive que la lumière jaillisse de l'obscurité et que le temps qui semblait irrémédiablement perdu ne l'ait pas été.
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Ps : rajouté à la suite de la lecture de commentaires trouvant l'auteur très sarcastique envers autrui et beaucoup trop auto-centré :
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J'ai trouvé ses portraits de condisciples de Reims assez "empathiques", justement : jamais il ne les démolit, parce qu'ils partagent un malaise comparable au sien. Son regard est lucide, mais indulgent, sans jugement sur ce que sont les êtres au fond : ils sont le miroir les uns des autres et comme il est lui-même, il les voit : nulle arrogance à leur égard. Leur pratique frénétique de la masturbation est le symbole de leur désenchantement : se contenter de pis-aller au lieu de la vraie vie ; constat que les choses ne sont pas ce qu'on vous avait laissé entendre ; illusions perdues de Moix qui, sorti des griffes parentales, croyait que la vraie vie allait commencer.

Ce que j'ai aimé ce sont les portraits atemporels, de ces jeunes hommes, Roger Lecomte, René Daumal, Roger Vailland et Robert Meyrat et de leurs désarroi comparés à ceux de Moix et de sa bande soixante dix ans plus tard. Non, la jeunesse n'est pas le plus bel âge de la vie, c'est celui où les jeunes adultes sont pris en tenaille entre leurs aspirations et le désir forcené de prouver à leurs parents qu'ils ne sont pas les "nuls" qu'on croit. Ah ! le terrible destin des fils ! (je pense à la mère de René Char qui considérait son fils comme un raté parce que la poésie ce n'était pas "viril" : il fit d'ailleurs, pour lui complaire, des études à l'Ecole de commerce De Marseille (tiens !) ; il devint aussi résistant, mais jamais ne trouva grâce à ses yeux).

Vingt ans : l'âge où on commence à comprendre que la vie ne vous attend pas avec un bouquet de roses et qu'il faudra survivre à bien des déceptions. Il y a ceux qui se suicident, et ceux qui deviennent des morts vivants, aigris, méchants. Les phrères simplistes finirent mal dans l'ensemble : alors quel avenir pour la promotion Moix ? L'auteur, au tout dernier chapitre de Reims, se révèle à lui-même : il sera son propre sujet littéraire !

Car Moix s'est choisi comme sujet : ce n'est pas plus sot que parler de ce qu'on ne connaît pas car dans le moi pas mal de choses se reflètent : anamorphose du moi.

Un énorme ego, Moix ? Oui ! Alors autant en faire la source de son inspiration. de toute façon on ne tourne jamais en rond qu'autour de son nombril. Il le fait brillamment.

Cette quadrilogie intitulée "Au pays de l'enfance immobile" (excellent titre ! ) devra un jour, à mon sens, ne faire qu'un seul volume avec ses quatre sous-parties : Orléans, Reims, Verdun, Paris.

Pour l'instant, le choix des quatre livres est parfait.



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