Quand j'ai vu que ce manga allait sortir, j'ai sauté de joie, et l'ai acheté sans l'once d'une hésitation. Je savais d'avance qu'il me plairait, avec un sujet aussi intéressant, qui me tient tant à coeur. Et que ce serait une lecture inoubliable. Et en effet, tout, dans ce manga, m'a passionnée, émue et bouleversée.
Les couvertures des deux tomes sont juste magnifiques. Leur douceur est à la hauteur de l'ambiance du manga. La première, dans ces tons de mauve, aborde très bien, je trouve, le côté découverte. On y voit Yûji qui porte une robe, le regard fixé dans son reflet, l'air fasciné, troublé de ce qu'il voit. La douceur de son expression si sérieuse donne réellement la sensation que ce qu'il voit dans son miroir l'apaise. Les éclats de miroir tout autour peuvent être interprétés de deux manières : Yûji souffre de ce décalage entre le vrai « elle » et celui qu'il est physiquement ou bien, alors, en se libérant, il brise la glace qui le retenait encore à cette personne qui le dégoûte et dans laquelle il ne se reconnait pas.
La couverture du tome 2, en tons de bleu, est beaucoup plus nostalgique, morose, un peu triste. On y voit Masaki, une cigarette à la main, un air profondément mélancolique posé sur le visage. Mais derrière lui, Yûji a l'air tellement plus serein et sûr de lui, et son sourire est très apaisant.
Les dessins de ce manga sont superbes. Eux aussi expriment l'immensité de la douceur de cette histoire. Les traits sont beaux, fins, les expressions travaillées, mais toujours dans cette idée de douceur. On n'en voit pas moins les personnages s'émouvoir, se surprendre, souffrir et vivre de petites victoires, pas à pas.
Ce manga n'est pas une simple histoire romantique racontant les tribulations de deux personnes. S'il est classé dans la section « romance », le côté romance y est multiple, et à la fois, utilisé de manière aussi réaliste que « cru ». Pas cru dans les mots, dans les gestes, etc, non, simplement, une histoire d'amour ne se termine pas toujours bien, et elle ne s'en achève pas pour autant toujours « mal ». Il n'y a pas de jugement posé sur le dénouement (ou non) d'une relation, ici. Les sentiments sont beaucoup à sens unique, ou alors s'effondrent quand l'un des personnages réalise que la vie n'est pas un beau conte de fée qui finit nécessairement sur une happy ending. C'est simplement ancré dans le réel, et les différents protagonistes, étudiants se muant en adultes, apprennent à accepter la réalité de ce monde, à accepter que l'amour ne se partage pas toujours, et se décline alors de bien des manières.
Rien qu'à ce niveau-là, « Celle que je suis » est vraiment un récit qui s'ancre dans le monde tel qu'il est, sans masques, sans faux semblants. C'est une histoire d'acceptation, à tous niveaux, et par tous les personnages. Aucun n'est épargné quand il s'agit de se déciller, d'apprendre à vivre en adulte, à oublier ses rêves d'enfant.
Et pourtant, cette histoire, c'est aussi un appel à l'espoir, c'est aussi montrer que ces rêves, s'ils ne seront jamais aussi beaux que dans la fiction, peuvent se réaliser. C'est une réelle leçon de vie, qui nous fait suivre les pas de jeunes hommes et femmes qui doivent apprendre à accepter ce qui ne peut pas changer, et de changer ce qui peut l'être. de composer avec la réalité pour trouver une stabilité, un bonheur qui certes, sera toujours teinté d'ombres et d'accrocs de souffrance, mais dans lequel ils pourront évoluer et grandir, se trouver et s'épanouir.
Le personnage de Yûji est central à l'histoire, évidemment, même s'il n'est pas le seul protagoniste que l'on suit (et je ne détaillerai pas outre mesure, mais j'ai été très touchée par Masaki, j'ai eu un pincement au coeur pour Ayumi, j'ai souffert pour Etsuko, et j'ai adoré Tigre).
Yûji, au début de l'histoire, rêve dans le secret de son coeur d'être une femme. Ce rêve, il l'a presque étouffé, l'a enfermé si profond qu'il n'ose même pas vraiment y penser. Mais il n'en déteste pas moins son corps, ce corps masculin, qui change, qui devient plus solide, plus épais, plus viril, alors qu'il devient un adulte. Il a peur de ces changements, il ne les accepte pas, et pourtant, il n'a pas le choix.
Lorsque sa soeur laisse chez lui des accessoires de femme, il ne peut s'empêcher de les essayer. Passer la robe, mettre une perruque sur sa tête, et là… c'est comme si la magie, enfin, se faisait. La personne qu'il voit dans son reflet est femme, et cette femme… c'est lui. C'est vraiment lui. Ou plutôt elle.
Au cours du récit, le masculin se change doucement en féminin. Il y a évidemment un moment du récit où les choses basculent, mais malgré tout, ce changement de pronom personnel se fait tellement doucement qu'on le remarque à peine. C'est tellement en accord avec les changements de Yûji, c'est tellement juste que c'en est normal. Alors qu'il s'accepte en tant que femme, il accomplit de lui-même ce changement de pronom qui lui correspond mieux.
La transidentité est abordée ici avec justesse, sensibilité et réalisme. Yûji est complètement femme, et pourtant, iel n'accomplira pas les changements physiques qui pourraient le rapprocher plus encore de ce genre auquel iel appartient. Un personnage clef du récit nous expliquera son propre choix de rester homme physiquement et aux yeux du monde, nous éclairera en douceur sur ce que subissent les trans', qu'ils soient transformés ou pas, socialement parlant, mais pas seulement, également au fond d'eux, dans leur manière de se percevoir, etc. C'est poignant, touchant, triste, et pourtant, c'est dit avec tellement d'assurance, dans un tel contexte de confiance et de sérénité qu'on se sent apaisé. Et Yûji, pour la première fois, peut se dire, peut se sentir compris.e, et, en se sentant moins seul.e, iel fait un bond énorme en avant, dans sa compréhension d'iel, dans son acceptation, aussi. Les rencontres qu'iel fait, l'acceptation des personnes qui lui sont chères, vont lui permettre, simplement, d'apprendre à vivre, chrysalide et papillon à la fois.
Ce manga est juste un immense coup de coeur. Il n'est pas joyeux, et les larmes que l'on verse ou retient ne sont pas toujours des larmes d'émotion « positive », parfois ce sont aussi des larmes de tristesse ou de mélancolie. Malgré tout, cette histoire bouleversante est réellement une histoire d'acceptation, et les émotions qui m'ont traversée étaient majoritairement de belles émotions. Entre légèreté, nostalgie, sérénité et tendresse. C'est une histoire lumineuse, mais cette lumière-là est plus pastel que colorée. C'est poétique, lyrique, délicat, et juste magique. Une magnifique leçon de vie, et une belle entrée dans le monde si sensible de la transidentité.
Aurélie pour le blog d'Amabooksaddict
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