La pathologie moderne de l'esprit est dans l'hyper-simplification qui rend aveugle à la complexité du réel. La pathologie de l'idée est dans l'idéalisme, où l'idée occulte la réalité qu'elle a mission de traduire et se prend pour seule réelle. La maladie de la théorie est dans le doctrinarisme et le dogmatisme, qui referment la théorie sur elle-même et la pétrifient. La pathologie de la raison est la rationalisation qui enferme le réel dans un système d'idées cohérent mais partiel et unilatéral, et qui ne sait ni qu'une partie du réel est irrationalisable, ni que la rationalité a pour mission de dialoguer avec l'irrationalisable.
Il y a une telle complexité dans l'univers, il est apparu une telle série de contradictions que certains scientifiques croient dépasser cette contradiction, dans ce qu'on peut appeler une nouvelle métaphysique. Ces nouveaux métaphysiciens cherchent dans les mystiques, notamment extrêmes-orientales, et notamment bouddhistes, l'expérience du vide qui est tout et du tout qui n'est rien. Ils perçoivent là une sorte d'unité fondamentale, où tout est relié, tout est harmonie, en quelque sorte, et ils ont une vision réconciliée, je dirais euphorique, du monde.
Ce faisant, ils échappent à mon avis à la complexité. Pourquoi ? Parce que la complexité est là où l'on ne peut surmonter une contradiction voire une tragédie. Sous certains aspects, la physique actuelle découvre que quelque chose échappe au temps et à l'espace, mais cela n'annule pas le fait qu'en même temps nous sommes incontestablement dans le temps et dans l'espace.
On ne peut réconcilier ces deux idées. Devons-nous les accepter telles quelles ? L'acceptation de la complexité, c'est l'acceptation d'une contradiction, et l'idée que l'on ne peut pas escamoter les contradictions dans une vision euphorique du monde.
Bien entendu, notre monde comporte de l'harmonie, mais cette harmonie est liée à de la dysharmonie. C'est exactement ce que disait Héraclite : il y a de l'harmonie dans la dysharmonie, et vice versa. (pp. 86-87)
La pathologie moderne de l'esprit est dans l'hyper-simplification qui rend aveugle à la complexité du réel.
Toute connaissance produit de l'ignorance et du mystère ...
Nous sommes toujours dans la préhistoire de l'esprit humain. Seule la pensée complexe nous permettrait de civiliser notre connaissance.
La lumière d'une allumette dans la nuit éclaire certe une zone, mais elle montre surtout l'obscurité du reste...
On a beau savoir que tout ce qui s'est passé d'important dans l'histoire mondiale ou dans notre vie était totalement inattendu, on continue à agir comme si rien d'inattendu ne devrait désormais arriver. Secouer cette paresse d'esprit, c'est une leçon que donne la pensée complexe.
Pour être nous-mêmes, il nous faut apprendre un langage, une culture, un savoir, et il faut que cette culture soit assez variée pour que nous puissions nous-mêmes faire le choix dans le stock des idées existantes et réfléchir de façon autonome. (p. 89)
Ainsi, le concept d’information présente de grandes lacunes et de grandes incertitudes. Cela est une raison, non pour le rejeter, mais pour l’approfondir. Il y a, sous ce concept, une richesse énorme, sous-jacente, qui voudrait prendre forme et corps. Cela est, évidemment, aux antipodes de l’idéologie “informationnelle” qui réifie l’information, la substantialise, en fait une entité de même nature que la matière et l’énergie, en somme fait régresser le concept sur les positions qu’il a pour fonction de dépasser. C’est donc dire que l’information n’est pas un concept-terminus, c’est un concept point de départ. Il ne nous révèle qu’un aspect limité et superficiel d’un phénomène à la fois radical et polyscopique, inséparable de l’organisation.
Nous sommes un mélange d'autonomie, de liberté, d'hétéronomie et je dirais même de possession par des forces occultes qui ne sont simplement celles de l'inconscient mises au jour par la psychanalyse. Voilà une des complexités proprement humaines.