Ce soir-là, je me suis tué et enterré discrètement, à ma manière, tout en continuant à rester vivant parce que je ne voulais pas disparaître. J'aimais trop la vie. Je ne voulais pas mourir au complet, simplement enterrer une partie de moi. Toute petite, qui s'appelait l'écriture. J’ai décidé que je n’écrirai plus jamais... Murdoch avait beau crier qu’il fallait prendre parole, oser... c’était trop difficile... moi, je voulais vivre avec les gens, alors j’ai décidé de faire ce qu’ils voulaient que je fasse, j’ai décidé que je deviendrai quelqu’un d’autre. Un enfant modèle. Je suis devenu anthropologue judiciaire. Oubliée, la beauté en soi, oubliées Norvège et la métaphore, oubliés les gens du quartier qui voient la beauté en eux se transformer en laideur, perdu, oublié tout ça.
BOON. Je l’ai vu s’en aller. En cinq minutes, il m’avait injecté une telle dose de révolte et de colère que j’ai été envahi par une soif d’amour, de sens, de raison d’être, de douceur, une soif si grande ! Une soif me faisant comprendre que ce monde magnifique, lié à l’enfance que je portais en moi, était en train de mourir à force de dureté. Les choses me semblaient si claires tout à coup. Les gens de mon quartier, auprès de qui je devais faire l’enquête, étaient tous pareils à moi : nous aimons tous la vie et la beauté est à la portée de tous. Pourtant, lorsque cette beauté n’est pas nourrie, elle se transforme en quelque chose d’horrible et cette chose horrible nous gruge de l’intérieur. J’ai compris que plus on tentait de vivre sans beauté, plus la beauté en nous enlaidissait !
Mais là, plus l’autobus retarde, moins je sais pourquoi je me suis levé ce matin. Vous là madame, vous le savez pourquoi vous vous êtes réveillée ce matin? Non? Ben moi je crois que le chauffeur d’autobus, lui, là, ce matin, il s’est dit dans sa tête: « Coudonc, pourquoi je me réveille ce matin? » Pis comme la réponse était pas ben claire, il a décidé de rester couché. Vous rendez-vous compte, madame, que si tous les chauffeurs d’autobus du monde se demandaient en même temps: « Pourquoi je me lève ce matin? » il y aurait un crisse de pow wow dans la ville? Qu’est-ce que vous voulez leur dire: « Ben non, lève-toi, viens-t’en nous parler d’une banque Royale, viens-t’en parce que tu le vaux bien, vas-y, fais-le pour toi et tu auras la passion du confort? » Qu’est-ce que vous voulez leur dire : « Ben non, encore pour toute ta vie, fais-le le trajet de la 121: Cavendish, Place-Vertu, Hocquart, Duguay, Saint Laurent, Alexis-Nihon, Marlatt, Cardinal, Sainte-Croix, Ahuntsic, Saint-Michel, Sauvé, dix fois par jour aller-retour! » Moi, là, je crois que c’est ça qui s’est passé! Le chauffeur de la 121 vient de prendre conscience de sa vie et il a décidé de tout envoyer crisser! Bon! Le v’là! J’suis presque déçu!
... pour ce qui est du poète, disons plutôt que j'étais timide même si, c'est vrai, secrètement, je rêvais de devenir auteur, je rêvais de donner vie à des personnages, inventer un monde pour faire voir ce qui n'existait pas... Finalement, je suis devenu anthropologue judiciaire, et au lieu de faire voir ce qui n'existe pas, je fais voir ce qui n'existe plus. C'est une nuance insignifiante mais cette insignifiance peut changer tout le cours de votre vie.
Il y aura toujours un "re" de trop qui fera en sorte que vous êtes toujours game over! Je le sais pas, je me sens comme tétanisé de l'intérieur, comme si en dedans de moi y a un gars qui joue avec une superballe qui rebondit partout!
Oubliée la beauté en soi, oubliées Norvège et la métaphore, oubliés les gens du quartier qui voient la beauté en eux se transformer en laideur, perdu, oublié tout ça.
Alors elle s'est approchée de moi.
Chaque pas était comme un trésor découvert et arraché au fond de la mer.
Hey le smatte, c'est pas parce que t'es un homme en habit que t'es pas aussi perdu que moi!
Je veux dire que c'est pas une vie, sacrament, fait que non crisse de crisse, je ne me tairai pas, calvaire!
Je me suis levé du pied cannibale et m'en vas vous avaler toute la gang!