Citations sur L'Elu de Milnor, tome 1 : La fuite d'Almus (7)
Emmitouflé dans son manteau, son bonnet enfoncé sur les oreilles, Almus regardait s’éloigner la rive d’Obélane, le seul foyer qu’il ait connu. La frustration l’emportait sur le petit pincement au cœur. À l’heure qu’il était, on avait dû découvrir sa fuite. Il avait espéré que les Sages, malgré tout, enverraient des soldats à sa recherche. Mais, à cette heure-ci, les quais restaient désespérément vides. Ce fut à ce moment qu’Almus prit conscience du caractère irréversible de sa situation. Jeune garçon ordinaire, il n’avait plus rien à faire ici.
Un seau et un balai à la main, Almus découvrit bientôt les joies de la vie de mousse. Le bosco lui avait ordonné de nettoyer les latrines. Debout devant la porte du lieu d’aisance, Almus se retenait à grand-peine de ne pas vomir. Après quelques minutes, il découvrit qu’en respirant par la bouche, l’odeur était moins pestilentielle. Finalement, sous les ricanements de Rik qui l’observait, le jeune garçon trouva la force d’ouvrir la porte du réduit. Ce fut mille fois pire. Il courut jusqu’au bastingage et vida son estomac par-dessus bord. Il ne vomit que de la bile, s’en étonna avant de se rappeler qu’il avait pris son dernier repas au palais, quand il était encore l’Élu.
Malgré ses paroles apaisantes, l’adolescent mit un long moment à calmer son ami. Pour finir, il lui promit de ne plus jamais aborder le sujet, mais ce fut Pil qui eut le mot de la fin :
— Si j’y retournais, mon père me revendrait aussi sec. Non, je ne reviendrai pas à Martig. Il y aura toujours une place pour ma famille dans mon cœur, mais désormais, je voyage avec toi, où que tu ailles et quoi que tu fasses !
Almus se détourna pour que le petit garçon ne voie pas son trouble. Pour s’excuser, il décida d’offrir à Pil un gâteau au miel. Celui-ci, qui n’en avait jamais mangé, le fit durer le plus longtemps possible, le grignotant par petits bouts, un air de ravissement inscrit sur sa figure.
Peut-être pourrait-il extraire de ce morceau de bois un nouveau cheval, moins pataud, plus abouti qu’à sa première tentative et ainsi ne pas arriver les mains vides chez ses parents.
Une pensée en entraînant une autre, il songea à la réaction de son père quand il le verrait. Il ne serait peut-être pas aussi enchanté que Dame Marial. À chacune de ses visites, le duc de Varsh ne cachait pas sa fierté d’avoir engendré l’Élu. Serait-il déçu ou content de retrouver son héritier
Plus tard, presque endormi, Almus demanda à Noir-Cœur :
— Et ta belle, l’as-tu revue ?
— Oh que oui ! soupira l’assassin. Je me suis renseigné : elle avait été mariée par sa famille à un vieux barbon repoussant. La pauvre ! En tout cas, j’en étais tombé amoureux. Je lui composais des poèmes que je lançais à sa fenêtre lorsqu’elle restait ouverte.
— Et… ? — J’ai dû partir, comme tu le sais.
Noir-Cœur ne s’étendit pas sur le sujet et se tourna de l’autre côté. Le cœur d’Almus se serra de chagrin pour son ami.
— Tu peux dire ce que tu veux, c’est grâce à mes visions que vous êtes encore en vie et celles-ci me disent à présent que je dois vous accompagner. Si vous partez sans moi, je vous suivrai et si un loup me dévore, vous aurez ma mort sur la conscience.
À ces mots, Noir-Cœur s’ébroua.
— Qu’elle vienne ! Nous n’allons quand même pas l’abandonner ici toute seule. J’ai déjà une mort sur la conscience, je ne tiens pas à en avoir une deuxième.
— Mais… s’exclama Almus.
— Laisse, intervint Pil. Elle a gagné.
Mira jeta un regard triomphant à un Almus dépité et lui tira la langue.
Après une nuit confortable pour deux d’entre eux et un petit-déjeuner tiré de leurs provisions, Mira avait exigé de se laver.
— Mais c’est du chantage ! s’indigna Almus.
— Non, c’est de la persuasion. Nous autres, filles, avons nos propres armes.