Citations sur Les braises (175)
C'est qu'en réalité nous aimons toujours ceux qui sont différents de nous... Ce sont eux que nous recherchons sans cesse dans la vie. (...) Lorsque, par hasard, deux êtres qui ne sont pas de nature différente se rencontrent, quelle félicité ! C'est le plus beau cadeau du sort. Malheureusement, les rencontres de ce genre sont extrêmement rares et il semble, de toute évidence, que la nature se soit opposée à l'harmonie par la ruse et la violence, sans doute parce que, pour recréer le monde et rénover la vie, il lui est indispensable que subsiste cette tension entre les humains, harcelés par des tendances contradictoires et des rythmes dissemblables, mais qui néanmoins cherchent à s'unir coûte que coûte. Où que nos regards se portent, nous voyons cette alternance, cet échange d'énergie entre le pôle positif et le pôle négatif. Imagine la somme de désespoir et de vaines espérances que cela représente... (...)
Le destin peut tout nous accorder et nous pouvons tout lui arracher, mais nous ne pouvons jamais changer les goûts, les penchants et le rythme de vie d'un autre et nous luttons en vain contre cette "nature différente" qui caractérise essentiellement l'être que nous aimons.
Il n'est pas vrai que les hommes ne peuvent faire autrement que de supporter leur destin, dit le général. (...) Les hommes peuvent aussi le diriger. Ils déterminent eux-mêmes ce qu'il doit leur arriver. Ils attirent leur destin à eux et ne s'en séparent plus. Les hommes sont ainsi qu'ils agissent comme ils doivent le faire, même si de prime abord ils savent que leurs actes leur seront néfastes. L'homme et son destin font cause commune. Ils se prêtent serment et se forment l'un à l'autre. Le destin n'intervient pas aveuglément dans notre vie. Disons plutôt qu'il y pénètre par la porte que nous lui avons ouverte nous-mêmes, en l'invitant poliment à entrer. Car nul être humain ne possède assez de puissance et d'intelligence pour écarter, avec des mots et des actes, la malheur qui résulte de sa nature, de son caractère, suivant des lois impitoyables.
Il m'est arrivé une fois de traîner un ours pesant deux cent cinquante kilos, du haut d'une colline couverte de neige jusque dans la vallée. Bien sûr , j'étais alors d'une force peu commune. Mais, après coup, je me suis demandé comment j'avais réussi à déplacer ce poids considérable à travers monts et vaux. Les hommes - semble-t-il - peuvent supporter les plus lourdes charges tant que la vie conserve un sens pour eux.
Quoi qu'il en soit, aux questions les plus graves, nous répondons, en fin de compte, par notre existence entière. Ce que l'on dit entre-temps n'a aucune valeur, car lorsque tout est achevé, on répond avec l'ensemble de sa vie aux questions que le monde vous a posées. Les questions auxquelles il faut répondre sont : qui es-tu ? Qu'as-tu fait ? ... A qui es-tu resté fidèle ? A quel propos as-tu été infidèle ? ... Avec qui, où, en quelle occasion as-tu été courageux ou lâche ? ... Voilà les questions capitales.
Je me suis demandé si un ami qui nous a déçu, parce qu'il n'était pas un véritable ami, doit être blâmé pour son caractère ou pour son manque de caractère ? A quoi sert une amitié dans laquelle nous n'apprécions réciproquement que la vertu, la fidélité et la constance ? N'est-il pas de notre devoir de rester aux côtés aussi bien de l'ami infidèle que du fidèle, prêt à nous sacrifier ? (...)
Lorsque l'on fait don de ce bien suprême qu'un homme peut donner à un autre homme, je veux dire la confiance absolue et passionnée, et lorsqu'on doit constater que l'on n'est payé que d'infidélité et de bassesse... a-t-on le droit d'être blessé et de crier vengeance ?
Un jour ou l'autre, nous devons perdre l'être que nous aimons. Celui qui ne peut supporter cela n'est pas intéressant, parce qu'il n'est pas un vrai homme.
Dans le temps qui s'écoule, rien ne se perd. Mais petit à petit; tout pâlit, comme ces très vieilles photographies faites sur une plaque métallique. La lumière et le temps effacent leurs traits nets et caractéristiques. Pour reconnaitre par la suite le portrait sur la surface devenue floue, il faut le placer sous un certain angle de réflexion. Ainsi palissent nos souvenirs avec le temps. Cependant, un jour, la lumière tombe par hasard sous l'angle voulu et nous retrouvons soudain le visage effacé.
Il doit être atroce le moment où la tentation subjugue un cœur humain et où un homme lève son arme pour tuer son ami.
"Je veux être poète!" dit il un jour en contemplant la mer, le regard rêveur sous les paupières mi-closes, tandis que ses boucles blondes ondoyaient dans le vent chaud. La nourrice l'entoura de ses bras et pressa sa tête contre son sein.
" Non, tu seras soldat. " dit-elle.
" Comme mon père ?" questionna-t-il et, déçu, il secoua la tête.