Premier roman que je lis de cet auteur et très grande découverte. En même temps, pas mal d'expectative et d'interrogation... Vers où, vers quoi Murakami a t-il voulu m'embarquer ?
Tout le roman oscille entre le réel, l'imaginaire, le rêve, les métaphores, les symboles, les allégories... dans un brassage permanent de référence à la tragédie grecque, aux philosophes, Hegel, Bergson, à la psychanalyse, à la musique Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert,... au cinéma de Truffaut ou aux classiques américain, à la littérature japonaise et occidentale, Kafka, Keats, Techkov,..., on suit le parcours initiatique du jeune Kafka Tamura qui pour devenir un jeune adulte devra traverser des épreuves (réelles ? rêvées ? imaginaires ? métaphoriques ?) toutes reliées à son abandon à l'âge de quatre ans par sa mère et symbolisées par le mythe d'Oedipe (tuer le père, coucher avec sa mère et sa soeur). le roman regorge de "leçon de vie" mis en avant par le questionnement de Kafka auprès de ses "maîtres", Oshima le responsable de la bibliothèque (jeune femme androgyne se sentant homme et homosexuel) , Sakura une jeune fille (sa soeur ?) qui lui donnera sa première expérience sexuelle, Mademoiselle Saeki (sa mère hypothétique) dont il tombe amoureux et avec qui il aura son premier rapport (imaginé ? réel ?).
On suit également, comme un miroir au jeune Tamura, le parcours de Nakata, vieillard de soixante ans, amnésique et simple d'esprit après un mystérieux évènement en 1944 lorsque enfant il tomba dans le coma en même temps que tous les élèves de sa classe lors d'une promenade pour ramasser des champignons. Nakata part pour un énigmatique voyage accompagné d'un jeune routier, Hoshino, qui devient son aide, assistant et disciple pour finalement rejoindre la bibliothèque où se cache Kafka Tamura. Nakata, parle aux chats, tue Johnnie Walker (effigie du whisky), parle à la "pierre de l'entrée". Son acolyte lui obtient de l'aide du colonel Sanders (effigie de la chaîne KFC !), on baigne dans l'imaginaire et l'onirique.
Haruki Murakami a écrit un roman gigantesque dans ses multiples renvois et références, dense dans sa réflexion sur le réel, l'imaginaire, la conscience, le destin, le libre arbitre qui parfois frôle l'excessif dans sa volonté d'intellectualisé, énigmatique dans les permanents allers-retour entre le réel, l'imaginaire, le symbolique qui cherche à totalement désorienter et hypnotiser le lecteur. A croire que Murakami cherche à nous entraîner également "jusqu'au bord du monde" seule possibilité pour devenir homme et comprendre que le monde n'est que métaphore. L'entrée de ce monde, symbolisé par une pierre, étant gardée par deux soldats perdus (?) de la seconde guerre mondiale comme les deux gardes de la Flûte Enchantée de Mozart pour l'épreuve de Tamino et Pamina, ou la sentinelle devant la porte de la Loi dans le Procès de Kafka, mais dans ce dernier cas la porte ne s'ouvrira jamais.
"Ce ne sont pas les humains qui choisissent leur destin mais le destin qui choisit les humains. La tragédie prend sa source, ironiquement, non pas dans les défauts mais dans les vertus des personnages. (...) Ce ne sont pas leurs défauts, mais leurs vertus qui entraînent les humains vers les plus grandes tragédies. (...) L'ironie donne de la profondeur aux humains et de la grandeur. Elle leur offre le salut, un salut d'un niveau supérieur, et une sorte d'espérance universelle. (...) Nous intégrons l'ironie de la vie grâce à un instrument appelé métaphore" (p 271-272 Ed 10/18).
Tout au long du roman, Murakami, par petite touche donne les clés de lecture et comprendre l'existence de plusieurs monde parallèle qui parfois communique et que tout est en relation, les hommes, la nature, le monde des rêves, l'imaginaire :
"L'existence de chaque humain est vouée à une stricte solitude, mais nous sommes reliés les aux autres par des archétypes immémoriaux" (p128 Ed 10/18)
"La responsabilité commence dans les rêves"
Malgré le sentiment parfois de passer à côté de certains symboles, références ou métaphores par manque de connaissance j'ai eu beaucoup de plaisir à découvrir cet auteur. Lecture parfois difficile qui demande de revenir en arrière, relire, comparer mais lorsque l'on referme la dernière page du roman on est plein d'interrogation avec une nouvelle lecture de notre monde voulant s'abstraire du rationalisme occidental;