Citations sur Le Meurtre du Commandeur, tome 1 : Une idée apparaît (113)
« Dans l'histoire,il y a aussi plein de machins qu'il vaut mieux laisser tels quels, enfouis dans l'obscurité, ô que oui. Une connaissance juste ne veut point toujours dire une connaissance enrichissante. L'objectivité n'est point forcément supérieure à la subjectivité. Le fait ne dissipe point systématiquement l'illusion. »
Je ne savais que répondre à cela. Que cela ma contrarie ou pas, quels arguments un être humain, de chair et de sang, pouvait-il aligner face à une Idée?
Dans le silence du bois, je pouvais presque entendre jusqu’au bruit de l’écoulement du temps, du passage de la vie. Un humain s’en allait, un autre arrivait. Un sentiment s’en allait, un autre arrivait. Une image s’en allait, une autre arrivait. Et moi aussi, je me désintégrais petit à petit dans l’accumulation de chaque moment, de chaque jour, avant de me régénérer. Rien ne demeurerait au même endroit. Et le temps se perdrait. Un instant après l’autre, le temps s’écroulait puis disparaissait derrière moi, comme du sable mort. Assis devant la fosse, l’oreille aux aguets, je ne faisais qu’écouter le temps mourir.
Que dans notre vie, il est fréquent de ne pas pouvoir discerner la frontière entre le réel et l'irréel. Il me semble que cette frontière est toujours mouvante. Comme une frontière entre deux pays qui se déplacerait à son gré selon l'humeur du jour. Il faut faire très attention à ces mouvements. Sinon, on finit par ne plus savoir de quel côté on se trouve.
Le peintre avait insufflé à sa peinture quelque chose qui trouvait un écho au plus profond du cœur des spectateurs, il y avait mis une force suggestive qui invitait leur imagination à s'envoler vers un autre horizon.
En y pensant rétrospectivement, je me dis que nos vies sont faites de façon vraiment étrange. Elles regorgent de hasards extravagants et difficiles à croire, de développements en zigzag impossibles à pronostiquer. Mais lorsque ces évènements nous arrivent réellement, lorsqu’on est plongé au milieu du tourbillon, il est possible de ne pas y voir le moindre élément étrange. Peut-être ce qui arrive nous semble-t-il être uniquement des faits parmi les plus ordinaires, se produisant de la façon la plus ordinaire, dans un quotidien linéaire. Ou bien au contraire, peut-être tout cela nous paraît-il complètement insensé. Mais en fin de compte, c’est seulement beaucoup plus tard que l’on saura vraiment si un évènement est conforme à la raison ou pas.
Après avoir raccroché, j'allai au cabinet de toilette et me regardai dans la glace. Mon visage était reflété là. Cela faisait très longtemps que je ne l'avais pas observé, de face. Le moi que l'on voyait dans la glace, avait-elle dit, n'était rien de plus qu'un reflet physique. Mais le visage qui était réfléchi là, le mien, ce n'était que l'autre moitié de moi, une moitié hypothétique qui, à un certain moment, de ma vie avait bifurqué. Celui qui était là, c'était le moi que je n'avais pas choisi. Ce n'était même pas un simple reflet physique.
La vérité, c'est la représentation, la représentation, c'est la vérité.
Oui, je suis peintre, et je peux donc restituer exactement l'apparence de ces mets en une image. Mais leur contenu, je ne peux pas l'expliquer.
Ce n'était peut-être pas de la réalité, mais ce n'étaient pas du rêve non plus.