Donner la vie. Donner la mort.
Avec «
Accabadora »
Michela MURGIA nous offre les mystères d'un petit bout de Sardaigne.
«
Accabadora » ? Abracadabra ? Un titre qui évoque la formule magique, la sorcellerie…
Petit voyage dans le temps, nous voici dans les années cinquante, à Sorini, village de la Sardaigne profonde pas encore atteint par la modernité post guerre 39-45.
Il s'agit d'un roman d'ambiance, un roman âpre qui rapporte avec sobriété la vie, les us et coutumes d'une certaine ruralité : le temps rythmé par la nature, les travaux saisonniers, les fêtes religieuses, les superstitions, les sorts jetés, les rumeurs, les mesquineries, les conflits entre voisins mais aussi leur solidarité et ces usages particuliers dont on parle (donner un enfant à qui n'en a pas) et ceux que l'on tait, toujours en rapport avec la mort.
Deux héroïnes : Tzia Bonaria et sa fill'e anima (sa fille d'âme) Maria, son enfant "adoptée" à l'âge de 6 ans ou plutôt "cédée" par sa famille qui la considère comme une charge. Tzia lui apporte confort matériel, éducation, lui donne accès à l'école, lui explique la vie, ses règles jamais simples, lui dit la sagesse, en bref, lui apprend à grandir. Elles s'apprivoisent mutuellement et vivent heureuses, côte à côte, s'aimant d'un amour pudique tout en retenue et en pleine confiance. Tzia est un guide pour Maria.
Mais Tzia a un secret qu'elle cache à Maria : certaines nuits, elle disparaît sans donner d'explication, ombre mystérieuse dans les ténèbres. Tzia est « l'
accabadora », « la dernière mère », celle que l'on vient chercher pour libérer les mourants, leur permettre une fin de vie digne. Maria le découvre brutalement, ne l'admet pas, la confiance s'effiloche, se rompt… Maria quitte l'île pour une grande ville, le monde urbain. Est-ce le bon chemin pour affronter son destin?
Avec une intrigue simple en apparence, l'auteure nous dit la modernité, l'actualité de rites ancestraux posant les questions qui taraudent encore et toujours notre société du XXI° siècle : c'est quoi la filiation ? la transmission ? le bien et le mal ? la fonction de la religion ? l'euthanasie est-elle un droit naturel ?
Roman écrit à mots comptés conjuguant rudesse et tendresse, il nous entraîne au plus profond des entrailles de l'âme humaine qui craint, doute, redoute et cherchera toujours à maîtriser l'inconnu : le grand mystère de la vie et de la mort.
Une belle citation : « le chagrin est nu. le noir sert à le couvrir, non à l'exhiber »