NOUS IRONS TOUS DEUX
Nous irons tous deux, écartant l’ortie et les fougères,
Dans les jardins où pleuvent, en traits longs et fins, les pleurs
De la lumière, où sont les jets d’eau danseurs et, légères,
Les hautes pelouses s’enivrant d’oiseaux et de fleurs.
Entrons, Beaux Pélerins, dans cet hermitage de gloire !
Gagnons-y notre place et faisons-nous un corps pareil
Aux choses, nous, délivrés de l’heure et de la mémoire,
Lucides dans le magnifique opium du soleil.
Nous y serons heureux comme les Anges et les Bêtes,
Sans lien, sans espoir, dont l’instant seul comble l’esprit ;
Regrets, chagrins insidieux, hôlà, vaines tempêtes !
Notre coeur, par delà les désastres, navigue et rit.
Le jour, joyeux et parfumé, chante dans mille abeilles,
Les bassins, les gazons émus sont luisants de désir ;
Le bonheur pèse ainsi qu’un lourd sommeil, et les corbeilles
Scellent la terre et l’air des rouges cachets du plaisir.
La brise vole et joue et déploie une souple soie
Caressante, le ciel brille entre les feuilles, si pur !
Liberté, Liberté ! l’universel midi flamboie,
Et cet apaisement tout rempli d’ailes et d’azur !
Voici qu'un deuil nouveau couvre le voisinage.
Déjà l'eau des étangs gèle dans les roseaux.
Et déjà les chemins sont pleins de ton carnage.
Hiver ! cruel chasseur de feuilles et d'oiseaux.