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Citations sur L'Homme sans qualités, tome 1 (282)

Il n'y a que les fous, les dérangés, les gens à idées fixes qui puissent persévérer longtemps dans le feu de l'âme en extase ; l'homme sain doit se contenter d'expliquer que la vie, sans une parcelle de ce feu mystérieux, ne lui paraîtrait pas digne d'être vécue.
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Les philosophes sont des violents qui, faute d’armée à leur disposition, se soumettent le monde en l’enfermant dans un système. Probablement est-ce aussi la raison pour laquelle les époques de démocratie et de civilisation avancée ne réussissent pas à produire une seule philosophie convaincante, du moins dans la mesure où l’on en peut juger par les revers que l’on entend communément exprimer sur ce point. (p. 292)
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La vie ordinaire est la moyenne de tous nos crimes possibles.
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Selon des traditions dignes de foi, ce serait au cours du XVIe siècle, période d’intense animation spirituelle, que l’homme, renonçant à violer les secrets de la nature comme il l’avait tenté jusqu’alors pendant vingt siècles de spéculation religieuse et philosophique, se contenta, d’une façon que l’on ne peut qualifier que de « superficielle », d’en explorer la surface. Le grand Galilée, par exemple, qui est toujours le premier cité à ce propos, renonçant à savoir pour quelle raison intrinsèque la Nature avait horreur du vide au point qu’elle obligeait un corps en mouvement de chute à traverser et remplir espace après espace jusqu’à ce qu’il atteignît enfin le sol, se contenta d’une constatation beaucoup plus banale : il établit simplement à quelle vitesse ce corps tombe, quelle trajectoire il remplit, quel temps il emploie pour la remplir et quelle accélération il subit. L’Eglise catholique a commis une grave faute en forçant cet homme à se rétracter sous peine de mort au lieu de le supprimer sans plus de cérémonies : c’est parce que lui et ses frères spirituels ont considéré les choses sous cet angle que sont nés plus tard (et bien peu de temps après si l’on adopte les mesures de l’histoire) les indicateurs de chemin de fer, les machines, la psychologie physiologique et la corruption morale de notre temps, toutes choses à quoi elle ne peut plus tenir tête. Sans doute est-ce par excès d’intelligence qu’elle a commis cette faute, car Galilée n’était pas seulement l’homme qui avait découvert la loi de la chute des corps et le mouvement de la terre, mais un inventeur à qui le Grand capital, comme on dirait aujourd’hui, s’intéressait ; de plus, il n’était pas le seul à son époque qu’eût envahi l’esprit nouveau. Au contraire, les chroniques nous apprennent que la sobriété d’esprit dont il était animé se propageait avec la violence d’une épidémie ; si choquant qu’il soit aujourd’hui de dire de quelqu’un qu’il est animé de sobriété, quand nous penserions plutôt en être saturés, le pas que l’homme fit à cette époque hors du sommeil métaphysique vers la froide observation des faits dut entraîner, si l’on en croit quantité de témoignages, une véritable ardeur, une véritable ivresse de sobriété. Si l’on se demande comment l’humanité a pu penser à se transformer ainsi, il faut répondre qu’elle a agi comme tous les enfants raisonnables quand ils ont essayé trop tôt de marcher ; elle s’est assise par terre, elle a touché la terre avec une partie du corps peu noble sans doute, mais sur laquelle on peut se reposer. L’étrange est que la terre se soit montrée si sensible à ce procédé et qu’elle se soit laissé arracher, depuis cette prise de contact, une telle foison de découvertes, de commodités et de connaissances qu’on en crierait presque au miracle.
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Tandis qu’il se laissait porter de-ci de-là au sein de la petite activité stupide dont il s’était chargé, parlant, aimant à trop parler, vivant avec l’obstination désespérée d’un pêcheur qui plonge ses filets dans un fleuve vide, tandis qu’il ne faisait rien qui correspondît à la personne que malgré tout il représentait, et qu’intentionnellement il ne faisait rien, il attendait.
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Que pourrait-il donc faire de mieux que de garder sa liberté à l’égard du monde, dans le bon sens du terme, comme un savant sait rester libre à l’égard des faits qui voudraient l’induire à croire trop précipitamment en eux ? C’est pourquoi il hésite à devenir quelque chose ; un caractère, une profession, un mode de vie défini, ce sont là des représentations où perce déjà le squelette qui sera tout ce qui restera de lui pour finir. Il cherche à se comprendre autrement ; avec cet appétit qu’il a de tout ce qui pourrait l’enrichir intérieurement (serait-ce même au-delà des limites de la morale ou de la pensée), il a l’impression d’être un pas, libre d’aller dans toutes les directions, mais qui va toujours d’un point d’équilibre au suivant, et toujours en avançant. Et s’il pense, un beau jour, avoir eu l’idée juste, il s’aperçoit qu’une goutte d’une incandescence indicible est tombée dans le monde, et que la terre, à sa lueur, a changé d’aspect.
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La vie forme une surface qui se donne l’air d’être obligée d’être ce qu’elle est, mais sous cette peau les choses poussent et pressent.
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De toute façon, il pensait lentement, les mots lui coûtaient un effort, il n’en avait jamais assez, et parfois, lorsqu’il parlait avec quelqu’un, il arrivait que son interlocuteur, tout à coup, le regardât avec étonnement, ne comprenant pas tout ce qu’il pouvait y avoir dans un seul mot, quand Moosbrugger lentement l’extrayait. Il enviait tous les hommes qui avaient appris dès leur jeunesse à parler facilement ; lui, comme par dérision, les mots lui collaient au palais comme de la gomme juste au moment où il en avait le plus urgent besoin ; alors, il se passait parfois un temps interminable jusqu’à ce qu’il réussît à dégager une syllabe, et repartît. […]
La conscience que sa langue, ou quelque chose de plus profond encore en lui, était paralysé comme par de la colle, lui donnait un sentiment d’insécurité pitoyable qu’il lui fallait pendant des jours s’efforcer de dissimuler. Alors apparaissait soudain une subtile, on pourrait presque dire même une silencieuse frontière. Tout d’un coup, un souffle glacé était là. Ou bien, tout près de lui, dans l’air, une grosse boule émergeait et s’enfonçait dans sa poitrine. Dans le même moment, il sentait quelque chose sur lui, dans ses yeux, sur ses lèvres, ou bien dans les muscles faciaux ; il y avait comme une disparition, un noircissement de tout ce qui l’entourait, et tandis que les maisons se posaient sur les arbres, un ou deux chats, peut-être, se sauvant à toute vitesse, bondissaient hors du taillis. Cela ne durait qu’une seconde, puis tout était de nouveau comme avant. […]
Ces périodes étaient tout entières sens ! Elles duraient parfois quelques minutes, parfois elles s’étendaient sur toute une journée, parfois encore elles se prolongeaient en d’autres, semblables, qui pouvaient durer des mois. Pour commencer par ces dernières, parce qu’elles sont les plus simples, […] c’étaient des périodes où il entendait des voix, de la musique, ou bien des souffles, des bourdonnements, des sifflements aussi, des cliquetis, ou encore des coups de feu, de tonnerre, des rires, des appels, des paroles, des murmures. Cela lui venait de partout ; c’était logé dans les cloisons, dans l’air, dans les habits et dans son corps même. Il avait l’impression qu’il portait cela dans son corps tant que cela restait muet ; mais dès que cela éclatait, cela se cachait dans les environs, quoique jamais très loin de lui. Quand il travaillait, les voix protestaient contre lui, le plus souvent avec des mots détachés ou de courtes phrases, elles l’injuriaient, le critiquaient, et quand il pensait à quelque chose, elles l’exprimaient avant qu’il en ait eu le temps, ou disaient malignement le contraire de ce qu’il voulait. Que cela suffît à le faire juger malade, Moosbrugger ne pouvaient qu’en rire ; lui-même ne traitait pas ces voix et ces visions autrement que si ç’avait été des singes. Cela le distrayait de les entendre et de les voir se démener ; c’était incomparablement plus beau que les pensées pesantes et tenaces qu’il avait lui-même, mais quand elles le gênaient trop, il se mettait en colère, finalement c’était assez naturel. […]
Il lui était arrivé dans sa vie de dire à une fille : « Votre bouche est une rose ! » mais tout à coup le mot se défaisait aux coutures, et quelque chose de très pénible se produisait : le visage devenait gris comme la terre que couvre le brouillard, et devant lui, sur une longue tige, une rose se dressait ; affreusement grande alors était la tentation de prendre un couteau, de la couper ou de la frapper pour qu’elle rentrât de nouveau dans le visage.
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[…] il n’y a plus guère aujourd’hui que les criminels qui osent nuire à autrui sans recourir à la philosophie.
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Il n'est pas de passé qu'on connaisse plus mal que ces trois ou quatre décennies qui séparent vos propres vingt ans des vingt ans de votre père. C'est pourquoi il n'est peut-être pas inutile de se remémorer encore le fait que les maisons et les poèmes les plus laids des mauvaises époques, naissent de principes exactement aussi beaux que ceux des bonnes époques ; que tous les gens ont le sentiment qu'ils les améliorent ; et que les jeunes gens exsangues de ces époques là tirent autant de vanité de leur jeune sang que les hommes nouveaux de n'importe quelle autre époque. 
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