L'Islam traditionnel face au monde moderne

Que représente pour nous actuellement l'oeuvre de Massignon maintenant que plus d'un siècle s'est écoulé depuis sa naissance et une trentaine d'années depuis sa mort?(...)
Je dirais en premier lieu qu'il avait une appréciation profonde et universelle des choses spirituelles.c'était un véritable être spirituel.Dans le monde moderne des savants et des intellectuels, c'est une qualité rare.Le monde actuel se caractérise en fait par son inaptitude à conjuguer intelligence et piété.Les gens sont souvent ou bien intelligents, mais pas très pieux, ou pieux, mais pas très intelligents.Le mariage des deux, c'est-à-dire une piété profonde et une intelligence pénétrante, est une qualité rare à notre époque, mais que Massignon possédait à un degrés très élevé.Il n'était pas seulement capable de pénétrer la signification spirituelle des mondes chrétien et islamique qui étaient les siens, mais aussi des mondes lointains, comme celui du shintoisme, dont il fit l'expérience sur l'île d'Isé et dont il parla dans un passage remarquable, bien connu de ceux qui étudient ses écrits.

Hallâj représente das le soufisme la grâce spéciale du Christ telle qu'elle se manifeste dans l'univers islamique.Il est un soufi christique, si l'on peut se permettre d'employer un tel terme (...).Cela ne veut pas dire qu'il ait été influencé par le Christianisme au sens historique.Ce type de manifestation n'a rien à voir avec la réalité du Christianisme en tant que religion spécifique.Mais plutôt, la structure de l'islam est telle que, dans la tradition islamique, il existe la possibilité d'un rayonnement de la lumière irradiée par les fondateurs d'autres religions, en particulier du Judaisme et du Christianisme.On peut ainsi avoir ainsi une spiritualité de type abrahamique, mosaique ou christique.C'est pourquoi j'emploie le mot "christique" et non "chrétien".Dans le cas de Hallâj, il représente une manifestation christique dans l'univers de la spiritualité mohammadienne.

En mémoire de Louis Massignon: savant et penseur catholique, islamisant et mystique.
Louis Massignon (est) peut-être le plus important de tous les spécialistes de l'Islam que l'Occident ait jamais connu.(...)
En 1907, prit place dans la vie de Massignon un événement très particulier, qui reste assez mystérieux.Même son fils et d'autres membres de sa famille estiment qu'il vécut alors une expérience mystique.Cet événement fut la découverte d'Hallaj, une découverte qui n'était pas de caractère scientifique, mais d'ordre intérieur et spirituel et qui, en fait, laissa une marque indélébile sur toute sa vie ultérieure et le ramena au sein de la religion chrétienne, dont il était resté jusqu'alors très éloigné.(...)
Il est essentiel de se souvenir en premier lieu que ce fut à la suite de a rencontre avec la mystérieuse figure de "l'Etranger", c'est-à-dire d'Hallaj, sur le plan spirituel _et non seulement sur le plan de l'érudition-, que Massignon devint un intellectuel catholique de premier plan.

Il serait également souhaitable que l'étude des écoles de pensée non islamiques porte sur les philosophies juive et chrétienne du moyen-âge européen et sur leurs prolongements.

Ayant acquis une connaissance de base approfondie de la tradition intellectuelle de l'Islam envisagée dans ses grandes lignes, sinon dans ses détails, l'étudiant musulman pourra alors être initié aux autres écoles de philosophie, non seulement occidentales, mais aussi orientales.Il n'existe pas de meilleur remède au scepticisme inhérent à la plupart des philosophies occidentales que les doctrines traditionnelles de l'Orient qui, comme la philosophie islamique elle-même, sont des philosophies au sens de sagesse, car elles sont fondées sur l'Absolu et les moyens d'atteindre cet absolu.

Dans les annales de la philosophie islamique, la doctrine la plus élaborée, dans le champ de l'éducation comme dans bien d'autres domaines, a été exposée par Mullâ Sadrâ, dont la synthèse de la philosophie, du soufisme, du Kalâm et des sciences sharî'tes se trouve pleinement reflétée dans sa doctrine de la croissance et du développement de l'âme, laquelle est à la base de toute la problématique de l'éducation.Ainsi la genèse, la croissance et le perfectionnement de l'homme et de son âme, sujet qu'il traite habituellement sous le nom de istikmal al-nafs, ou perfection de l'âme, occupent très souvent une place centrale dans de nombreux traités de Mullâ Sadrâ.L'étude la plus complète de ce sujet se trouve dans la grande somme qui a pour titre "Les Quatre Voyages de l'Esprit" (al-Asfâr al-arba'ah).

Quand nous disons "moderne" nous n'entendons ni "contemporain" ni "à la page"; cela ne signifie pas davantage quelque chose qui aurait conquis ou dominé le monde naturel."Moderne" veut plutôt dire pour nous ce qui est coupé du Transcendant et des principes éternels qui, en réalité, régissent toutes choses et que l'homme connaît par la révélation prise dans son sens le plus universel.Le modernisme s'oppose ainsi à la tradition (ad-dîn); comme nous l'avons déjà dit, il comprend tout ce qui est simplement humain et, maintenant, de plus en plus infra-humain, et tout ce qui est séparé et coupé de la source divine.De toute évidence, la tradition a toujours accompagné et, en fait, caractérisé l'existence humaine, tandis que le modernisme est un phénomène récent.Depuis que l'homme est sur terre, il a toujours enterré ses morts et cru en l'au-delà et au monde de l'Esprit.

Avant la deuxième guerre mondiale, (...) pratiquement personne, mis à part un petit cercle au Caire et à Karachi, n'avait lu les ouvrages "prophétiques" de René Guénon comme "La crise du monde moderne" et "Le règne de la quantité et les signes du temps", prédisant l'effondrement du monde moderne, bien que Guénon se fut installé définitivement au Caire en 1931.(...)
Ce mouvement en Occident (L'école traditionaliste ou Pérennialisme), était associé à un effort de la part de beaucoup pour retrouver leurs racines, redécouvrir la tradition et regagner l'accés au sacré.Ainsi, tandis qu'une grande partie de ce qui restait de la tradition occidentale s'enlisait et laissait la place au désespoir et au nihilisme, il y avait aussi une réaffirmation des enseignements traditionnels, une redécouverte des mythes et des symboles, une réevaluation positive des religions non-occidentales et même de l'héritage médiéval occidental, qui cessait d'apparaître aussi sombre que ses critiques obtus de la Renaissance et du XVIIIe siècle ne l'avaient laissé croire.

En cosmologie islamique, le monde de l'imagination occupe une région intermédiaire dans la hierarchie de l'existence cosmique, située entre le monde matériel et le monde spirituel.Ses formes, sons et couleurs ont une réalité objective et sa réalité ontologique sert à donner à l'imagination humaine une fonction supérieure dépassant celle de l'imagination profane telle qu'elle est comprise dans le monde moderne.C'est à cette imagination qu'Ibn 'Arabî se réfère si souvent dans son oeuvre en parlant de son pouvoir créateur, et qui a été traduite par Mundus Imaginalis pour éviter toute confusion avec l'usage profane du terme "imagination".

La tradition philosophique de l'Islam, bien que d'une grande diversité et d'une grande richesse, est caractérisée par certains traits spécifiques, dont la signification particulière doit être pleinement comprise si l'on veut la saisir et en apprécier la portée universelle.Cette philosophie respire dans un univers religieux où un livre révélé et une prophétie dominent l'horizon.Il s'agit donc d'une "philosophie prophétique", quel qu'en soit le sujet.De plus, c'est une philosophie qui, en conformité avec la perspective islamique, est fondée sur l'intellect en tant que faculté surnaturellement naturelle dans l'homme, laquelle est un sacrement qui, s'il en use correctement, conduit aux mêmes vérités que celles révélées par la prophétie.