Les sentiments, y a que ça qui compte. L’argent, les honneurs, ça nous apporte des consolations, ou même des joies, parfois, mais ça ne dure pas. Quelques minutes, quelques jours, puis ça disparaît. Les sentiments, c’est pas pareil ; c’est pour longtemps !
Esprits de la terre enfouie sous le béton, esprits des arbres recroquevillés, les pieds enserrés dans des pots de terre cuite, esprits des panthères réfugiés dans des chats domestiques qui bâillent sur les genoux de mémères tassées aux anxiolytiques, esprits des rivières hurlant leur impatience dans les gargouilles des fontaines Wallace, esprits des fous, tous piaffant sous la statue de Pinel à l’entrée de la Salpêtrière, esprits, diables, démons, dieux bafoués, calomniés, humiliés, destitués, persécutés, torturés, oubliés, il est temps de paraître. Je vous le dis, esprits oubliés, refoulés, enchaînés : le temps de la délivrance est proche.
Bel étranger, on dit en Roumanie et en Bohême que les Tziganes sont des voleurs d’enfants, et cela depuis Mathusalem. Mais c’est faux ! C’est plutôt les autres, les gadjos, qui volent les enfants des Tziganes. As-tu vu comment les agents du Président, les assistantes sociales, les éducatrices, rêvent de capturer Youri, de l’enfermer dans un foyer, afin que plus jamais il ne se souvienne de son peuple ? Tu le sais, toi qui viens de très loin, de l’Égypte d’où les Gitans tirent leur nom, si tu les laisses faire, ils le priveront de son don. Il en mourra. Tu as connu les bonheurs et les malheurs de la Terre, sauve mon fils ! Prends-le auprès de toi.
Le monde leur appartient, ceux qui ont décidé de ne rien posséder.
Les âmes s’attirent comme des aimants, invisible fluidité des rencontres au-delà des temps, des langues et des pays.
Tout petits, les enfants crient. Leur voix n’est pas celle d’un humain. Elle est puissante, eux si menus, comme la corne de brume d’un paquebot. Ils appellent, on le sait ! Pas leur mère, elle est tout près, pourquoi crieraient-ils si fort ? Non, ils appellent au loin, ceux qu’ils ont aperçus dans l’entre-monde. Ils pleurent d’en être séparés.
Quelquefois l’amour, le vrai, vient aux enfants et c’est une bénédiction.
Elle était faite de ces flambées qui fabriquent des histoires ; il était de vent, ce souffle dont naissent les esprits. Elle l'embrassa jusqu'à l'excitation, à pleine bouche, en une sorte d'irritation qui s'empara de leur âme.
Youri, c'est comme un vent. Lorsqu'il est là, ou bien on se laisse ébouriffer, ou bien on court se mettre à l'abri.
Le monde leur appartient, ceux qui ont décidé de ne rien posséder.