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Citations sur Les nuits d'octobre (31)

En effet, le roman rendra-t-il jamais l'effet des combinaisons bizarres de la vie ? Vous inventez l'homme - ne sachant pas l'observer.
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À force de dissertations, ils avaient fini par s’apercevoir qu’ils étaient du même avis, que leurs pensées se trouvaient adéquates, et que les angles sortants du raisonnement de l’un s’appliquaient exactement aux angles rentrants du raisonnement de l’autre.
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"Quelle belle nuit!" dis-je en voyant scintiller les étoiles au-dessus du vaste emplacement où se dessinent, à gauche, la coupole de la Halle aux blés avec la colonne cabalistique qui faisait partie de l'hôtel de Soissons, et qu'on appelait l'Observatoire de Catherine de Médicis, puis le marché à la volaille; à droite, le marché au beurre, et plus loin la construction inachevée du marché à la viande. La silhouette grisâtre de Saint-Eustache ferme le tableau. Cet admirable édifice, où le style fleuri du Moyen Age s'allie si bien aux dessins corrects de la Renaissance, s'éclaire encore magnifiquement aux rayons de la lune, avec son armature gothique, ses arcs-boutants multipliés comme les côtes d'un cétacé prodigieux, et les cintres romains de ses portes et de ses fenêtres, dont les ornements semblent appartenir à la coupe ogivale.
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– Y penses-tu ? Ce sont les charniers. C'est là que des poètes en habit de soie, épée et manchettes, venaient souper, au siècle dernier, les jours où leur manquaient les invitations du grand monde. Puis, après avoir consommé l'ordinaire de six sous, ils lisaient leurs vers par habitude aux rouliers, aux maraîchers et aux forts : « Jamais je n'ai eu tant de succès, disait Robbé, qu'auprès de ce public formé aux arts par les mains de la nature ! »
Les hôtes poétiques de ces caves voûtées s'étendaient, après le souper, sur les bancs ou sur les tables, et il fallait, le lendemain matin, qu'ils se fissent poudrer à deux sols par quelque merlan en plein air, et repriser par les ravaudeuses, pour aller ensuite briller aux petits levers de madame de Luxembourg, de mademoiselle Hus ou de la comtesse de Beauharnais.
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V

LES NUITS DE LONDRES

— Eh bien, si nous ne soupons pas dans la haute, dit mon ami, je ne sais guère où nous irions à cette heure-ci. Pour la Halle, il est trop tôt encore. J’aime que cela soit peuplé autour de moi. Nous avions récemment, au boulevard du Temple, dans un café près de l’Épi-Scié, une combinaison de soupers à un franc, où se réunissaient principalement des modèles, hommes et femmes, employés quelquefois dans les tableaux vivants ou dans les drames et vaudevilles à poses. Des festins de Trimalcion comme ceux du vieux Tibère à Caprée. On a encore fermé cela.

— Pourquoi ?

— Je le demande. Es-tu allé à Londres ?

— Trois fois.

— Eh bien, tu sais la splendeur de ses nuits, auxquelles manque trop souvent le soleil d’Italie ? Quand on sort de Majesty-Theater, ou de Drury-Lane, ou de Covent-Garden, ou seulement de la charmante bonbonnière du Strand dirigée par madame Céleste, l’âme excitée par une musique bruyante ou délicieusement énervante (oh ! les Italiens !), par les facéties de je ne sais quel clown, par des scènes de boxe que l’on voit dans des box[1]…, l’âme, dis-je, sent le besoin, dans cette heureuse ville où le portier manque, où l’on a négligé de l’inventer, de se remettre d’une telle tension. La foule alors se précipite dans les bœuf-maisons, dans les huître-maisons, dans les cercles, dans les clubs et dans les saloons !

— Que m’apprends-tu là ! Les nuits de Londres sont délicieuses ; c’est une série de paradis ou une série d’enfers, selon les moyens qu’on possède. Les gin-palace (palais de genièvre) resplendissants de gaz, de glaces et de dorures, où l’on s’enivre entre un pair d’Angleterre et un chiffonnier… Les petites filles maigrelettes qui vous offrent des fleurs. Les dames des wauxhalls et des amphithéâtres, qui, rentrant à pied, vous coudoient à l’anglaise, et vous laissent éblouis d’une désinvolture de pairesse ! Des velours, des hermines, des diamants, comme au théâtre de la Reine !… De sorte que l’on ne sait si ce sont les grandes dames qui sont des…

— Tais-toi !
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X

Nuit profonde ! où suis-je ? Au cachot.

Imprudent ! voilà pourtant où t’a conduit la lecture de l’article anglais intitulé la Clef de la rue… Tâche maintenant de découvrir la clef des champs !

La serrure a grincé, les barres ont résonné. Le geôlier m’a demandé si j’avais bien dormi :

— Très-bien ! très-bien !

Il faut être poli.

— Comment sort-on d’ici ?

— On écrira à Paris, et, si les renseignements sont favorables, au bout de trois ou quatre jours…

— Est-ce que je pourrais causer avec un gendarme ?

— Le vôtre viendra tout à l’heure.

Le gendarme, quand il entra, me parut un dieu. Il me dit :

— Vous avez de la chance.

— En quoi ?

— C’est aujourd’hui jour de correspondance avec Senlis, vous pourrez paraître devant le substitut. Allons, levez-vous.

— Et comment va-t-on à Senlis ?

— À pied ; cinq lieues, ce n’est rien.

— Oui mais s’il pleut…, entre deux gendarmes, sur des routes détrempées…

— Vous pouvez prendre une voiture.

Il m’a bien fallu prendre une voiture. Une petite affaire de onze francs ; deux francs à la pistole ; — en tout, treize. — Ô fatalité !

Du reste, les deux gendarmes étaient très-aimables, et je me suis mis fort bien avec eux sur la route en leur racontant les combats qui avaient eu lieu dans ce pays du temps de la Ligue. En arrivant en vue de la tour de Montépilloy, mon récit devint pathétique, je peignis la bataille, j’énumérai les escadrons de gens d’armes qui reposaient sous les sillons ; — ils s’arrêtèrent cinq minutes à contempler la tour, et je leur expliquai ce que c’était qu’un château fort de ce temps-là.

Histoire ! archéologie ! philosophie ! Vous êtes donc bonnes à quelque chose.

Il fallut monter à pied au village de Montépilloy, situé dans un bouquet de bois. Là, mes deux braves gendarmes de Crespy m’ont remis aux mains de ceux de Senlis, et leur ont dit :

— Il a pour deux jours de pain dans le coffre de la voiture.

— Si vous voulez déjeuner ? m’a-t-on dit avec bienveillance.

— Pardon, je suis comme les Anglais, je mange très-peu de pain.

— Oh ! l’on s’y fait.

Les nouveaux gendarmes semblaient moins aimables que les autres, l’un d’eux me dit :

— Nous avons encore une petite formalité à remplir.

Il m’attacha des chaînes comme à un héros de l’Ambigu, et ferma les fers avec deux cadenas.

— Tiens, dis-je, pourquoi ne m’a-t-on mis des fers qu’ici ?

— Parce que les gendarmes étaient avec vous dans la voiture, et que nous, nous sommes à cheval.

Arrivés à Senlis, nous allâmes chez le substitut, et, étant connu dans la ville, je fus relâché tout de suite. L’un des gendarmes m’a dit :

— Cela vous apprrendra à oublier votrre passe-porrt une autre fois quand vous sorrtirrez de votrre déparrtement.

Avis au lecteur. — J’étais dans mon tort… Le substitut a été fort poli, ainsi que tout le monde. Je ne trouve de trop que le cachot et les fers. Ceci n’est pas une critique de ce qui se passe aujourd’hui. Cela s’est toujours fait ainsi. Je ne raconte cette aventure que pour demander que, comme pour d’autres choses, on tente un progrès sur ce point. — Si je n’avais pas parcouru la moitié du monde, et vécu avec les Arabes, les Grecs, les Persans, dans les khans des caravansérails et sous les tentes, j’aurais eu peut-être un sommeil plus troublé encore, et un réveil plus triste, pendant ce simple épisode d’un voyage de Meaux à Creil.

Il est inutile de dire que je suis arrivé trop tard pour la chasse à la loutre. Mon ami le limonadier, après sa chasse, était parti pour Clermont afin d’assister à un enterrement. Sa femme m’a montré la loutre empaillée, et complétant une collection de bêtes et d’oiseaux du Valois, qu’il espère vendre à quelque Anglais.

Voilà l’histoire fidèle de trois nuits d’octobre, qui m’ont corrigé des excès d’un réalisme trop absolu ; — j’ai du moins tout lieu de l’espérer.

Loges
Ο μή όράων, aveugle.
Fils de maître, selon les termes du compagnonnage.
Sois fort et hardi ; on ne descend ici que par de tels escaliers.
Ceci est un chapitre dans le goût allemand. Les gnomes sont de petits êtres appartenant à la classe des esprits de la terre, qui sont attachés au service de l’homme, ou du moins que leur sympathie conduit parfois à être utile (Voir les légendes recueillies par Simrock.)
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XXI

LA FEMME MÉRINOS

… Je m’arrête. Le métier de réaliste est trop dur à faire. La lecture d’un article de Charles Dickens est pourtant la source de ces divagations !… Une voix grave me rappelle à moi-même.

Je viens de tirer de dessous plusieurs journaux parisiens et marnois un certain feuilleton d’où l’anathème s’exhale avec raison sur les imaginations bizarres qui constituent aujourd’hui l’école du vrai.

Le même mouvement a existé après 1830, après 1794, après 1716 et après bien d’autres dates antérieures. Les esprits, fatigués des conventions politiques ou romanesques, voulaient du vrai à tout prix.

Or, le vrai, c’est le faux, — du moins en art et en poésie. Quoi de plus faux que l’Iliade, que l’Énéide, que la Jérusalem délivrée, que la Henriade ? que les tragédies, que les romans ?…

— Eh bien, moi, dit le critique, j’aime ce faux. Est-ce que cela m’amuse, que vous me racontiez votre vie pas à pas, que vous analysiez vos rêves, vos impressions, vos sensations ?… Que m’importe que vous ayez couché à la Sirène, chez le Vallois ? Je présume que cela n’est pas vrai, ou bien que cela est arrangé. Vous me direz d’aller y voir… Je n’ai pas besoin de me rendre à Meaux ! Du reste, les mêmes choses m’arriveraient, que je n’aurais pas l’aplomb d’en entretenir le public. Et d’abord est-ce que l’on croit à cette femme aux cheveux de mérinos ?

Je suis forcé d’y croire ; et plus sûrement encore que les promesses de l’affiche. L’affiche existe, mais la femme pourrait ne pas exister… Eh bien, le saltimbanque n’avait rien écrit que de véritable :

La représentation a commencé à l’heure dite. Un homme assez replet, mais encore vert, est entré en costume de Figaro. Les tables étaient garnies en partie par le peuple de Meaux, en partie par les cuirassiers du 6e.

M. Montaldo, — car c’était lui, — a dit avec modestie :

— Signori, ze vais vi faire entendre le grand aria di Figaro.

Il commence :

— Tra de ra la, de ra la, de ra la, ah !…

Sa voix, un peu usée, mais encore agréable, était accompagnée d’un basson.

Quand il arriva au vers : Largo al, fattotum della cità ! je crus devoir me permettre une observation. Il prononçait cita. Je dis tout haut : Tchita ! ce qui étonna un peu les cuirassiers et le peuple de Meaux. Le chanteur me fit un signe d’assentiment, et, quand il arriva à cet autre vers : « Figaro-ci, Figaro-là… », il eut soin de prononcer tchi. — J’étais flatté de cette attention.

Mais, en faisant sa quête, il vint à moi et me dit (je ne donne pas ici la phrase patoisée) :

— On est heureux de rencontrer des amateurs instruits… ma ze souis de Tourino, et, à Tourino, nous prononçons ci. Vous aurez entendu le tchi à Rome ou à Naples ?

— Effectivement !… Et votre Vénitienne ?

— Elle va paraître à neuf heures. En attendant, je vais danser une cachucha avec cette jeune personne que j’ai l’honneur de vous présenter.

La cachucha n’était pas mal, mais exécutée dans un goût un peu classique… Enfin, la femme aux cheveux de mérinos parut dans toute sa splendeur. C’étaient effectivement des cheveux de mérinos. Deux touffes, placées sur le front, se dressaient en cornes. — Elle aurait pu se faire faire un châle de cette abondante chevelure. Que de maris seraient heureux de trouver dans les cheveux de leurs femmes cette matière première qui réduirait le prix de leurs vêtements à la simple main-d’œuvre !

La figure était pâle et régulière. Elle rappelait le type des vierges de Carlo Dolci. Je dis à la jeune femme :

— Sete voi Veneziana ?

Elle me répondit :

— Signor, si.

Si elle avait dit : Si, signor, je l’aurais soupçonnée Piémontaise ou Savoyarde ; mais, évidemment, c’est une Vénitienne des montagnes qui confinent au Tyrol. Les doigts sont effilés, les pieds petits, les attaches fines ; elle a les yeux presque rouges et la douceur d’un mouton ; sa voix même semble un bêlement accentué. Les cheveux, si l’on peut appeler cela des cheveux, résisteraient à tous les efforts du peigne. C’est un amas de cordelettes comme celles que se font les Nubiennes en les imprégnant de beurre. Toutefois, sa peau étant d’un blanc mat irrécusable et sa chevelure d’un marron assez clair (voir l’affiche), je pense qu’il y a eu croisement ; un nègre, Othello peut-être, se sera allié au type vénitien, et, après plusieurs générations, ce produit local se sera révélé.

Quant à l’Espagnole, elle est évidemment originaire de Savoie ou d’Auvergne, ainsi que M. Montaldo.

Mon récit est terminé. « Le vrai est ce qu’il peut », comme disait M. Dufougeray. J’aurais pu raconter l’histoire de la Vénitienne, de M. Montaldo, de l’Espagnole, et même du basson. Je pourrais supposer que je me suis épris de l’une ou de l’autre de ces deux femmes, et que la rivalité du saltimbanque ou du basson m’a conduit aux aventures les plus extraordinaires. — Mais la vérité, c’est qu’il n’en est rien. L’Espagnole avait, comme je l’ai dit, les jambes maigres ; la femme mérinos ne m’intéressait qu’à travers une atmosphère de fumée de tabac et une consommation de bière qui me rappelait l’Allemagne. — Laissons ce phénomène à ses habitudes et à ses attachements probables.

Je soupçonne le basson, jeune homme assez fluet, noir de chevelure, de ne pas lui être indifférent.
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XX

RÉFLEXIONS

Recomposons nos souvenirs.

Je suis majeur et vacciné ; mes qualités physiques importent peu pour le moment. Ma position sociale est supérieure à celle du saltimbanque d’hier au soir ; et décidément, sa Vénitienne n’aura pas ma main.

Un sentiment de soif me travaille.

Retourner au café de Mars à cette heure, ce serait vouloir marcher sur les fusées d’un feu d’artifice éteint.

D’ailleurs, personne n’y peut être levé encore. — Allons errer sur les bords de la Marne et le long de ces terribles moulins à eau dont le souvenir a troublé mon sommeil.

Ces moulins, écaillés d’ardoises, si sombres et si bruyants au clair de lune, doivent être pleins de charmes aux rayons du soleil levant.

Je viens de réveiller les garçons du Café du Commerce. Une légion de chats s’échappe de la grande salle de billard, et va se jouer sur la terrasse parmi les thuyas, les orangers et les balsamines roses et blanches. — Les voilà qui grimpent comme des singes le long des berceaux de treillage revêtus de lierre.

Ô nature, je te salue !

Et, quoique ami des chats, je caresse aussi ce chien à longs poils gris qui s’étire péniblement. Il n’est pas muselé. — N’importe ; la chasse est ouverte.

Qu’il est doux pour un cœur sensible de voir lever l’aurore sur la Marne, à quarante kilomètres de Paris !

Là-bas, sur le même bord, au delà des moulins, est un autre café non moins pittoresque, qui s’intitule Café de l’Hôtel-de-Ville (sous-préfecture). Le maire de Meaux, qui habite tout près, doit, en se levant, y reposer ses yeux sur les allées d’ormeaux et sur les berceaux d’un vert glauque qui garnissent la terrasse. On admire là une statue en terre cuite de la Camargo, grandeur naturelle, dont il faut regretter les bras cassés. Ses jambes sont effilées comme celles de l’Espagnole d’hier — et des Espagnoles de l’Opéra.

Elle préside à un jeu de boules.

J’ai demandé de l’encre au garçon. Quant au café, il n’est pas encore fait. Les tables sont couvertes de tabourets ; j’en dérange deux ; et je me recueille en prenant possession d’un petit chat blanc qui a les yeux verts.

On commence à passer sur le pont ; j’y compte huit arches. La Marne est marneuse naturellement ; mais elle revêt maintenant des teintes plombées que rident parfois les courants qui sortent des moulins, ou plus loin les jeux folâtres des hirondelles.

Est-ce qu’il pleuvra ce soir ?

Quelquefois, un poisson fait un soubresaut qui ressemble, ma foi, à la cachucha éperdue de cette demoiselle bronzée que je n’oserais qualifier de dame sans plus d’informations.

Il y a en face de moi, sur l’autre bord, des sorbiers à grains de corail du plus bel effet : sorbier des oiseaux, — aviaria. — J’ai appris cela quand je me destinais à la position de bachelier dans l’Université de Paris.
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Les facteurs de la Halle, les gros marchands de légumes, de viande, de beurre et de marée sont des gens qui savent se traiter comme il faut, et les forts eux-mêmes ressemblent un peu à ces braves portefaix de Marseille qui soutiennent de leurs capitaux les maisons qui les font travailler.
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XXV

AUTRE RÊVE

J’eus à peine deux heures d’un sommeil tourmenté ; je ne revis pas les petits gnomes bienfaisants ; ces êtres panthéistes, éclos sur le sol germain, m’avaient totalement abandonné. En revanche, je comparaissais devant un tribunal, qui se dessinait au fond d’une ombre épaisse, imprégnée au bas d’une poussière scolastique.

Le président avait un faux air de M. Nisard ; les deux assesseurs ressemblaient à M. Cousin et à M. Guizot, mes anciens maîtres. Je ne passais plus comme autrefois devant eux mon examen en Sorbonne. J’allais subir une condamnation capitale.

Sur une table étaient étendus plusieurs numéros de Magazines anglais et américains, et une foule de livraisons illustrées à jour et à six pence, où apparaissaient vaguement les noms d’Edgar Poe, de Dickens, d’Ainsworth, etc., et trois figures pâles et maigres se dressaient à droite du tribunal, drapées de thèses en latin imprimées sur satin, où je crus distinguer ces noms : Sapientia, Ethica, Grammatica. Les trois spectres accusateurs me jetaient ces mots méprisants :

— Fantaisiste ! réaliste !! essayste !!!

Je saisis quelques phrases de l’accusation formulée à l’aide d’un organe qui semblait être celui de M. Patin :

— Du réalisme au crime, il n’y a qu’un pas ; car le crime est essentiellement réaliste. Le fantaisisme conduit tout droit à l’adoration des monstres. L’essaysme amène ce faux esprit à pourrir sur la paille humide des cachots. On commence par visiter Paul Niquet, — on en vient à adorer une femme à cornes et à chevelure de mérinos, on finit par se faire arrêter à Crespy pour cause de vagabondage et de troubadourisme exagéré !….

J’essayai de répondre : j’invoquai Lucien, Rabelais, Érasme et autres fantaisistes classiques. Je sentis alors que je devenais prétentieux.

Alors, je m’écriai en pleurant :

— Confiteor ! plangior ! juro !… — Je jure de renoncer à ces œuvres maudites par la Sorbonne et par l’Institut : je n’écrirai plus que de l’histoire, de la philosophie, de la philologie et de la statistique… On semble en douter ?… Eh bien, je ferai des romans vertueux et champêtres, je viserai au prix de poésie, de morale ; je ferai des livres contre l’esclavage et pour les enfants, des poëmes didactiques… des tragédies ! — Des tragédies !… Je vais même en réciter une que j’ai écrite en seconde, et dont le souvenir me revient…

Les fantômes disparurent en jetant des cris plaintifs.
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