Les autres fois, le fleuve qui coulait devant lui le calmait mais aujourd'hui le grondement régulier réveillait une torturante lucidité et il prenait conscience du désastre intégral qu'était sa vie.
- Je veux plus que tu partes maman. J'ai peur du méchant loup.
Emma retint son souffle.
- Tu ne dois plus avoir peur. Elle devait prendre sur elle pour que sa voix reste calme et ferme. Ici il n'y a pas de loup.
- Si, chuchota Louisa d'une voix endormie. Toujours quand tu t'en vas. Mais c'est un secret. Il faut pas que je le dise sinon il va me manger.
Bodenstein et Kröger traversèrent la terrasse bétonnée qui était appelée - par euphémisme - "Bistrot champêtre" sur un grand écriteau. Le soir, une guirlande lumineuse et des palmiers en plastique pouvaient suggérer - le degré d'alcoolémie aidant - une ambiance festive, mais à la lumière crue du soleil, le lieu se révélait dans toute sa laideur.
Rien dans la vie ne dure comme le provisoire. - p.17
[...] ... - "Louisa ? Louisa ! Qu'est-ce que tu as fait ?" murmura Emma, désemparée.
Louisa sanglotait. Elle jeta les ciseaux qui atterrirent en cliquetant sous la table. Ses sanglots se transformèrent en hurlements désespérés. Emma s'accroupit. Elle tendit la main et toucha les mèches soyeuses saccagées qui partaient dans toutes les directions. La fillette recula et détourna les yeux, puis elle se jeta dans les bras d'Emma. Son corps était secoué par les sanglots, les larmes inondaient son visage.
- "Pourquoi tu as coupé tes beaux cheveux ?" demanda doucement Emma. Elle berçait la petite fille, la joue appuyée sur sa tête. Elle ne ressentait ni mauvaise humeur, ni colère. Simplement, ça lui brisait le cœur de voir son enfant si malheureuse et ça l'angoissait de voir qu'elle ne pouvait pas l'aider. "Dis-moi pourquoi tu as fait ça, ma chérie ?
- Parce que je veux être très laide," murmura Louisa avant de mettre son pouce dans sa bouche. ... [...]
On rit toujours du malheur des autres.
Un bébé est un nouvel être humain. C’est la chose la plus merveilleuse au monde ! Et c’est le grand privilège que nous avons, nous, les femmes ! Naturellement c’est fatigant et douloureux et ça nous demande de grands sacrifices, mais quand le bébé est là, tout est oublié.
-Haut les mains! dit la vieille dame en dirigeant sa bombe d'un air combatif vers Bodenstein. C'était la première fois qu'il était menacé par une octogénaire dont les lunettes cerclées d'or glissaient sur la pointe du nez, mais étant donné son air furieusement décidé, il préféra s'exécuter.
-Vous comptiez simplement sonner et entrer? demanda le chef du commando avec condescendance.
-En effet, répliqua froidement Bodenstein. Et c'est ce que nous allons faire. Je n'ai pas l'intention de faire un esclandre et de provoquer l'homme inutilement avec une bande de Martiens bourrés de testostérone.
Quand on ne s’aime pas soi-même, il ne faut pas s’attendre à ce qu’on vous aime.