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Critique de jamiK


jamiK
03 décembre 2022
Lucas Nine s'inspire du style de son père, Carlos Nine. Ses personnages sont flous, ondulants, le trait est vague, les couleurs vaporeuses, parfois un peu sombres, pas toujours très lisibles, mais toujours d'une belle originalité. Dans ce monde de corps flasques et désossés, les personnages semblent nager dans l'air. C'est tantôt aérien, tantôt liquide, et tantôt terreux. Les personnages, silhouettes et décors sont dessinés dans un trait unique sans fin, le crayon ne semble jamais se séparer du papier, comme embarqué dans le récit, qu'il raconte dans ses volutes infinies, comme une écriture automatique sous hypnose créatrice… Un surréalisme onirique que j'aime beaucoup.

Le récit est tout aussi savoureux, bien que les plats servis ne soient pas forcément très appétissants.
René Dulac dit “Le Sueur”, toujours suintant, maigre et dégingandé, doit servir de chaperon pour son collègue du journal, Eugène Concombre, critique d'art à la faconde aussi empesée et volumineuse que sa silhouette. Pour la direction du journal, un accident pour se débarrasser du gros serait souhaitable. Evidemment, ça va tourner au vinaigre.

Il y a une ambiance fin XIXe début XXe, avec une référence aux romans feuilletons de cette époque, ━ Rouletabille est d'ailleurs de la partie, en personnage secondaire ━ ainsi qu'à ces remous artistiques. On peut s'amuser à y dénicher les nombreux clins d'oeils à ses différents mouvements artistiques, de Honoré Daumier au cubisme, en passant par Toulouse-Lautrec ou Degas, Tanguy, Chirico, jusqu'à Francis Bacon et Niki de Saint Phalle (pas de la même époque cependant), avec une étonnante apparition de Claude Monet et quelques autres pétillantes fugacités, une cantatrice qui s'appelle Kastafiore (Tintin), et un poète qui se promène avec son homard (de Nerval). Les dialogues sont formidables, les paroles d'Eugène Concombre sont délectables, savantes et drôles, L'univers fantastique et glaçant s'insère dans l'histoire de l'art, dans les affres de la création, pour dériver par un récit à la Jean Ray, l'horreur devient merveilleuse sous les coups de crayon de Lucas Nine. On va rencontrer en homme cochon, une femme vache, des petites filles rats, un héros mi-grenouille mi-humain dans une monde d'humains, des personnages qui ne semblent pas à leur place, mais qui s'impose à leur manière, pas toujours très légale.

Dans les tentatives de rapprocher le surréalisme du roman feuilleton populaire, initié par Philippe Soupault dans la “Mort de Nick Carter” (tentative que je trouve ratée), cette bande dessinée fait bonne figure au côté du génial “Nick Carter et André Breton - Une enquête surréaliste” de David B., modèle du genre.

Le récit est onirique, fou et cultivé, l'image nous immerge dans cet univers, on se laisse bercer par son surréalisme, par les forces créatrices en jeu dans une action de roman noir et fantastique d'une étrange intensité, cette bande dessinée est un petit ovni littéraire.
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