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Critique de enjie77


Excellente biographie ! Hormis celle de Dominique Bona sur Stefan Zweig, je suis, en effet, souvent déçue par le manque d'enthousiasme des auteurs de biographies qui fait que je les trouve soporifiques.
Celle-ci est captivante, très bien écrite, très documentée. Derrière l'écriture, on ressent le travail d'envergure qu'il a fallu à Florence Noiville pour rédiger cette passionnante biographie et l'attachement qu'elle a pour Isaac! Pour cet ouvrage, elle a reçu le Prix du récit biographique 2004, amplement mérité à mes yeux ! Florence Noiville, journaliste et critique littéraire au Monde des Livres, a aussi dirigé le Cahier de l'Herne consacré à Isaac, c'est dire !.

Quel personnage de roman qu'Isaac Bashevis Singer et quel parcours ! Déjà sa date de naissance, 14 juillet 1904 ! Il l'aurait inventée ! Enfant précoce, très éveillé, à l'affut de tout, doté d'une mémoire exceptionnelle, il se rappelle des évènements qui se sont produits dans sa ville natale de Léoncin en Pologne dont il est parti à l'âge de quatre ans. Issu d'une famille de rabbins orthodoxes, chez les Singer c'est Talmud – Torah, tout le reste est impie et ce climat d'ascèse, d'austérité, Singer en restera imprégné toute sa vie : ce qui transparaîtra dans son oeuvre. Néanmoins, il finira par se rebeller contre le fait que Dieu tourmente ses créatures, alors naîtra chez lui ce qu'il appellera son éthique de la protestation.

De 1904 à 1917, la famille SINGER habite le quartier juif de Varsovie au 10 puis 12, rue Krochmalna. Doté d'un grand sens de l'observation, rien ne lui échappe de cette vie grouillante et colorée où cohabitent les voleurs, les braves gens, les prostituées, les synagogues, le surnaturel. Et tout cela en yiddish, peut-être à peine dix mots de polonais ! Mais c'est delà que naîtra toute son inspiration créatrice.

Son frère Joshua et sa soeur Esther seront aussi écrivains. A la lecture de leurs livres, il est facile d'imaginer la Pologne des shtetl où la misère et le religieux tiennent une grande place, voire toute la place pour le religieux. En lisant cette biographie, j'ai retrouvé tout à fait l'ambiance de « La danse des démons » écrit par sa soeur, Esther, et « Yentl » d'Isaac. Je n'ai pas lu son frère, Joshua, dont les écrits se révélaient très prometteurs et qui est décédé trop tôt.
C'est justement Joshua qui va l'inciter à le rejoindre aux Etats-Unis en 1935. Isaac quitte alors la Pologne en laissant une femme, Ranya, et un fils de cinq ans, Israël. Isaac retrouvera Israël à l'âge adulte.

C'est alors l'exil avec toutes ses difficultés. Dans l'East Side réside la plus grande communauté yiddish au monde. Singer connaît à ce moment une période de grande dépression entre un passé mort et un avenir impossible. Et les informations qui lui parviennent d'Europe ne font qu'aggraver son désespoir. Son frère le fait entrer au Jewish Daily Forward et c'est à cette formidable aventure, reconnaissance, conquête du continent américain que nous assistons en lisant Florence Noiville.

Ce déraciné finit par rebondir curieusement après le décès de son frère. Joshua, frère aîné, lui aurait-il fait de l'ombre ? Bien sur, Isaac est un être doté d'une intelligence supérieure mais quel extraordinaire « mensch et kliger°°° » ! L'imaginaire ashkénaze n'ayant rien de commun avec l'imaginaire américain, il va écrire une histoire en yiddish qui fait référence au Talmud, à la Loi Juive et la même en anglais qui sera plus en adéquation avec la société américaine et les symboles chrétiens ! Deux langues, deux oeuvres ! Et cela Singer est le seul à pouvoir le faire ! Mais ne nous y trompons pas, toute sa vie il y aura un Singer comme coupé en deux: la partie visible est lumineuse et sereine tandis que l'invisible semble tordue par l'angoisse. En se voyant sur la photo en noir et blanc du Nobel il dira « j'ai l'air d'un juif effrayé …..et c'est exactement ce que je suis !

Un passage de ce livre m'a profondément émue. Lors de son discours à Stockholm en décembre 1978, il commencera son discours en yiddish, devant un auditoire fasciné, par ces mots : « le Yiddish est une langue de l'exil, sans territoire, sans frontières, soutenue par aucun gouvernement, une langue qui n'a pas de mots pour dire « armes » « tactiques de guerre », une langue méprisée par les gentils et par les juifs émancipés ».
Il se fera l'ardent défenseur du yiddish, ressuscitant ainsi un pittoresque yiddishland mais il aura aussi ses détracteurs qui lui reprocheront de s'approprier l'histoire de ces communautés juives d'Europe centrale et de la dénaturer !

Petit bonhomme avec de beaux yeux bleus, il va conquérir bien des femmes et ravira son auditoire, des lettres d'admiratrices et d'admirateurs s'empileront sur son bureau , il ne se glorifie pas de ses conquêtes mais c'est un tendre, un sentimental! Les femmes de sa vie vont quitter mari et enfants pour lui, l'accompagner, le protégé. Alma, son épouse, sera consciente de ses adultères mais ne se rebellera jamais ! Et sa dernière maîtresse, Dvorah succombera au charme du grand homme à 21 ans et lui 71 ans. Dans ses mémoires, Dvorah confiera « c'est un maître es charme ». Toutes lui seront particulièrement dévouées et lui serviront de secrétaires, de traductrices et se plieront à son rythme de travail effréné.

Il sera honoré de plusieurs prix mais le Nobel lui sera décerné « pour son art de conteur enthousiaste qui prenant racine dans la culture et les traditions judeo-polonaises, ramène à la vie l'Universalité de la condition humaine ».

Petite anecdote que j'adore : A son arrivée à l'aéroport de Stockholm pour recevoir le Nobel il est assaillit par les journalistes, les questions fusent jusqu'à :
Monsieur Singer, êtes-vous végétarien pour des raisons religieuses ou de santé ?
A cette dernière question il répond pince-sans-rire que c'est surtout la santé des poulets qui le préoccupe pas la sienne !

(°°°Homme bien et intelligent, futé)
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