Citations sur Hamnet (151)
Et quelle forêt ! Dense, verdoyante, sauvagement obstruée par le lierre et les ronces, ses arbres si serrés que des portions entières, disait-on, ne voyaient jamais la lumière. Pas un endroit où l'on voudrait se perdre, assurément. Cette forêt était sillonnée de sentiers vrillés, des sentiers capables de faire oublier aux promeneurs leur chemin, leurs intentions; cette forêt était parcourue par une brise dont personne ne connaissait l'origine. Et dans certaines clairières, l'on pouvait aussi entendre de la musique, des murmures ou des voix qui soufflaient votre nom en disant : Par ici, par ici, viens.
Elle va s’asseoir sur leur meilleure chaise, celle que sa mère destine à ses visiteurs, ces gens qui se faufilent par leur porte, tard dans la nuit, la plupart du temps, pour lui décrire en murmurant leurs douleurs, leurs saignements, absence de saignements, rêves, présages, élancements, difficultés, pour lui parler d’un amour mal choisi, d’un amour importun, d’augures, de la nouvelle lune, d’un lièvre croisé sur un chemin, d’un oiseau entré dans leur maison, d’une perte de sensation dans les bras, dans les jambes, de sensations trop vives dans les bras, dans les jambes, d’une démangeaison, d’une toux, d’une partie du corps qui brûle, qui fait mal, oreille, jambe, poumons, cœur.
Il serait possible, pour qui se rapprocherait suffisamment, de voir que ses lèvres bougent, murmurent des sons et émettent de petits claquements à destination des insectes qui l'entourent, se posent sur sa manche, se cognent contre son visage.
Elle apprend qu'il est possible de pleurer tout un jour et toute une nuit. Qu'il existe différentes manières de pleurer : des torrents qui brusquement se déversent, des sanglots profonds qui secouent le corps tout entier, des larmes silencieuses qui coulent sans qu'on le veuille, sans s'arrêter.
Leur petit garçon ne reviendra plus. Quelque part au fond d'elle, Agnès aimerait pouvoir remonter le temps, le reconstituer, le rembobiner comme une pelote de laine. Elle aimerait pouvoir faire tourner le rouet à l'envers, défaire l'écheveau - la mort d'Hamnet, son enfance, sa petite enfance, sa naissance - pour revenir à ce moment où elle et son mari s'étaient unis dans ce lit et avaient conçu des jumeaux. Elle aimerait pouvoir séparer les brins, revenir à la toison avant qu'elle ne soit laine, remonter le chemin jusqu'à cet instant, car alors elles se lèverait, tournerait son visage vers les étoiles, vers les cieux, vers la lune, et les supplierait de changer le cours de l'histoire, de faire qu'une autre issue lui soit proposée, par pitié, par pitié. Agnès ferait n'importe quoi, donnerait n'importe quoi pour que ses vœux soient entendus, offrirait aux cieux tout ce qu'ils lui demanderaient.
... il serait possible de tromper l aMort, de lui jouer ce tour que lui et Judith ont joué à de nombreuses personnes depusi qu'ils sont petits : échanger leurs places et leurs habits et se faire passer l'un pour l'autre...
Elle apprend qu'il est possible de pleurer tout un jour et toute une nuit. Qu'il existe différentes manières de pleurer : des torrents qui brusquement se déversent, des sanglots profonds qui secouent le corps tout entier, des larmes silencieuses qui coulent sans qu'on le veuille, sans s'arrêter. Elle appliquera sur ses yeux irrités de l'huile d'euphraise et de camomille. Elle apprend qu'il est possible de rassurer ses filles en leur parlant, sans en croire un seul mot, de paradis, de joie éternelle, en leur disant que la mort les réunira tous et qu'il les attend. Elle apprend que certains ne savent pas quoi dire à une femme qui a perdu son enfant. Que les gens changent parfois de trottoir, uniquement pour cette raison.
Elle possède une exécrable réputation dans les environs. On dit d’elle qu’elle est étrange, hors norme, dérangée, peut-être même folle. Le précepteur a ouï dire qu’on la voyait errer sur les petits chemins et dans la forêt, seule, pour cueillir des plantes dont elle tire d’inquiétantes potions. Et gare à celui qui croiserait son chemin, car il est encore dit qu’elle tiendrait ses connaissances d’une vieillarde qui savait fabriquer des remèdes et faire tourner le rouet, et dont un seul regard pouvait tuer un nouveau-né. On dit que sa belle-mère vit terrorisée, craignant de recevoir l’un de ses sortilèges, surtout maintenant que le paysan n’est plus. Cette fille devait être aimée de son père, cependant, si l’on en croit la dot laissée dans son testament. Bien sûr, voilà qui ne suffirait pas à la rendre bonne à marier. Les gens la disent trop sauvage pour qu’aucun homme puisse la supporter. Sa mère, paix à son âme, était une vagabonde, une ensorceleuse, un esprit de la forêt – le précepteur a entendu toutes sortes de rumeurs à son sujet. Sa propre mère secoue la tête et fait claquer sa langue lorsque cette fille est évoquée.
Agnes s'étonne qu'il est facile de passer à côté de la douleur, de la colère qui peuvent habiter quelqu'un, surtout si cette personne ne dit rien, les garde pour elle comme une bouteille trop bien fermée où la pression s'accumule, s'accumule jusqu'à ce que ... quoi ?
Le petit garçon ouvre la bouche. Il crie les noms, un par un, de toutes les personnes vivant ici, dans cette maison. Sa grand-mère. La bonne. Ses oncles. Sa tante. L'apprenti. Son grand-père. Il les essaie tous, un par un. Un instant, l'idée d'appeler son père lui traverse l'esprit, de crier son nom, mais son père se trouve à des kilomètres, à des heures, des jours de voyage d'ici, à Londres, où le petit garçon n'a jamais été.